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A
TRAVERS LES GROUINS
E\ PHEPAliATloS :
IMBÉCILES ET GREIJINS
DIJJ.N. — I.MI'IIIMKIIIE liAllAXrlint
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Z^-irr^i^j-r
LAURENT TAILHADE
A Travers
Grouins
Frontispice de LÉ AND RE
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p.-v. stockI
8, 0, 10, 11. GALERIE •éïrj«^iKATp;YFfeANÇAlS
PALAIS- ÇOxi"!-
L'aulcur cl l'éditeur rfcclarcnt réserver leurs droits île
traduction et tic reproduction pour tous pays, y coriipiis
la Suéde et la Norvège.
Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur
(section de la librairie) en mai l^'OO.
De cet ouvrage, il a été tiré à part : 2 e.r.
Kiir papier Wliatman; 5 ex. sur papier du
./itj)oii et 8 e.c. sur papier de Hollande.
5 4,39
/\ — /\ ri
A Monsieur Ernest VAUGHAN
En hommage d'affectueuse gralUude.
Paris, le 17 janvier 1899.
L. T. [(
;<
i
PRECAUTIONS ORATOIRES
0 vieillard, généralement connu sous
le nom de Père Eternel, qui^ suivant \
Moïse, Rochefort et le comte de Mu?i, créa la '/
lumière antérieurement au soleil, alias M. de
l'Etre ou le Dieu des Armées, se reposa le di-
manche et fuma sa pipe, tel un boutiquier re-
traité dans la banlieue sainte de /éroiischalaïm.
J'imiterai tin exemple si autorisé, pour, ayant
mené à terme l'enchiridion que voici, intégrer,
par façon de repos, une manière de plaidoyer
10
A TRAVERS LES GROfINS
CH niT. fafenr, me disculpant aux regards des
vieilles dames et de ma tante Jean Lorrain.
Quelques lectrices (disons, pour n'exagérer
point, une demi-douzaine) veulent bien me
reprocher le man(iue d'urbanité de ma polé-
mique, et surtout, prnh pudor ! les termes que
j'emploie. D'après elles, on compromet, par de
telles violences, plutôt que l'on ne sert, la jus-
tice et la vérité. Les gros mots ne conduisent à
rien, pas même au sti/le académique. Xe pour-
rait-on, en un langage plus civil, dire les mêmes
choses, édulcorer par un sucre de bienséances
l'dpreté des invectives, la haine, et le dégoût?
A dire le vrai, l'objection m'échappe absolu-
ment.
Elle eût consterné les écrivains les m ieu.r fa-
més des âges classiques : et Montaigne, et Pas-
cal, et Molière et Saint- Simon. Je ne pense pas
qu'il .toit utile d'être mieu.r appris que M. de
Voltaire pour abominer Roche fort ou sabouler
Gaston Méry. La pudeur contemporaine, à
PRKCAUTI0N5 OR\TOIliE> 11
Inquelle je défère de mon mieux ^ est un sen-
timent tout à fait neuf, issu de l'invasion bou-
tiquiére dans nos comportements. Louis X/V,
devant les duchesses, ordonnait d'arrêter son
carrosse et disait au cocher pourquoi. Ma-
dame Adélaïde avec ses sœurs appelait Marie
Leczinska : « maman-reine » et la Duharij
(( maman-putain «, sans que cela dérjraddt le
moins du monde l'air galant et noble auquel
ne parviennent que malaisément, aujourd'hui,
les patrons des Grands Magasins ou les nababs
de Chicago. La pruderie du langage est mer-
veilleusement adéquate à l'entrée dans la vie
sociale des bonnetiers enrichis, des usuriers
triomphants. Telles sont les grâces des cou-
peurs de chemises quand ils revêtent leurs bel-
les manières avec un frac trop neuf et se pom-
madent pour briller « en société ». A présent,
faire visite au lieu d'honneur est moins ardu
fine l'appeler par son nom, qui donnait autre-
fois une riîne à Boileau.
A TRAVERS LES Gr.OUINS
iV«/ n'oserait proférer devant sa concierge
les expressions de la Palatine, à moins que
d'employer le texte allemand.
Je voudrais citer, en tète de ces vers, la ré-
ponse connue de VEIectrice de Hanovre, à la
mère du Régent, que M. Stock la bifferait tout
entière, non pour sa provenance monarchique,
mais pour son incongruité. Quelle gazette, fût-ce
le Pcrc Peinard, imprimerait aujourd'hui, sans
beaucoup de points, la jolie épigramme dont
Voltaire égayait, aux dépens de Vendôme, le
salon des Choiseul :
Ce héros que tu vois ici représenté.
Favori de Vénus, favori de Bellone,
Prit la vérole et Barcelone,
Toutes deux du mauvais côté.
yéanuioins, lectrices, je nie conformerai dé-
sormais à vos admonestations. H n'est offrande
PRÉCAUTIONS Or.ATOIRES 13
qui ne vous soit due. En outre, servant une
cause proscrite et bien-aimée, il me plait obéir
à celles dont les encouragements nous récon-
fortent, dont la sympathie nous montre le
cliemin, envers et contre tous.
A travers les Grouins
LA PRIERE POUR TOUS
*|;#rtQEND0N3 grâces à Dieu! La Ligue Lien venue
kJLi^S Réunit marguilliers, escarpes, cliamls ilo vin
Et joui naleux nounii de pâte sans levain ;
La Vérité lc3 scandalisa, toute nue.
Maintenant la Patrie est sauve. Tiioniphanls,
Nous jaculùns des vœux intéressés : Dieu donne
Ouelques dents à Darrès ; à Coppée, une bonne I
Uiio (lunsbourg à Loti fusse beaucoup d'enl'anls I
1S A TRAVERS LES C^.OLINS
Nous sommes sans talent, sans honneur el sans sexe.
Le bourgeois nous admire et déguste, perplexe,
Nos mélanges savants de fiel cl de saindoux.
Les Jésus sont bons pour les matruUes hagardes.
Prenons, tel un chameau, des calus anx genoux 1
— Quand il aura béni toutes les vieilles gardes.
Puis tous les KamoUots, Dieu ûniia par nous.
VILLAMELLE
VILLANELLE
^^^3*f^5T l'<ii'l'it'e ilu bon ton
Çg^^^ Le youlie cher ii Gamelle,
C'est Mcyer porte-coton.
Bravant le qu'en-dira-t-on,
Aux hidalgos il se mêle.
C'est l'aibitre du bon ton.
Le chouan, lorrain ou bielon,
Ne va point à sa semelle :
C'est Mcyer porte-ciloii.
20 A TRAVEnS LFS or.ocixs
L'âme alroce de Calon
N'a pas en lui sa jumelle.
C'est l'arbili-e du bon Ion.
Les coups de pied, de bdlon,
Dilatent sa jrai'gamelle.
C'est Meyer porle-coton.
On prise fort, chez Golon,
L'empois qui le caraniMe :
C'est l'arbitre du bon ton.
Il craint le fer. Se bal-oii,
Sa cacarellc est formelle :
C'est Meyer porle-coton.
Il éloi^rne l'esponlon.
La llaniliei'ge, ralumelle :
C'i'st l'ailiitro du bon ton
VILI,ANEI,LK 21
A deux mains, contre un selon
Il prolèïe sa flanelle.
C'est Meyer porlc-coton.
Chauve de partout, Giton
De mainte vieille andrumclle.
C'est l'arbitre du bon ton.
Il drapa le hoquclon
Chez Antigny, sa furaelle :
C'est Meyer porte-coton.
Il marine comme un thon
Dans le chrême qui graniell
C'est l'arbitre du bon Ion.
C'est Dangeau, c'est Hamillon,
Brummel dompteur de chamelle t
C'est Meyer porte-coton
23 A TRàVEIlS LES GROUINS
L'É^Hje aime ce croùlon
Kl lei gaupcs l'ont comme elle.
C'est l'arbitic du bon ton,
C'cil Mcycr porte-coton.
JIAI.NTENEOn ES JEUX FLOnAUX
MAINTENEUR ES JEUX FLORAUX
A inris amis de Toulouse
^\\^YA^sT coillc son casque à mcelic cl revèlu
(5x^l2' Le frac des troubadours qu'illuslre une giberne,
Perrossier, Némorin compliqué de baderne,
S'escrime après Zola d'un braqucmart pointu.
Jchanne d'Arc, il préconise la vertu
El, chez les bons gagas des jeux Floiaux, lanterne,
Cueille des fleurs en papier peint puis. Ires moderne,
Sur leur vieux mirliton, sitlle « turlulutu ! »
21
A TRAVF.nS LES GHOKI iS
Car il est, au milieu de ces gens asllimaliques.
Tenace à ravauder la chanson des lilas,
Siu-ianl do pclils vers, bonbons diabéliqucs
Dont Peyralade poûtc avcs un fort soûlas.
Et c'est pourquoi, guerrier aux frousses aulheiiti(|ues
Poclc insuffisant aux plus vils chocolats,
Il épanche sur les Mailres son dcguclas.
CBAUVINISME ^ARUJNIKR
CHAUVINISME SARDINIER
Or, les Nanta'S ont fait savoir nu
bureau de l'Association qu'ils refu-
saient de recevoir ses mcmhres, si
M. Grimaud en i-estait président.
Dr Paul Arch\mrault.
ÎVjyP^ APiTAiNES vaseux, gcntillàtres dévols,
'?^^^I El les som-olTà, et les vicaires aux pieds sales
Devanl Giiniaux (un syndiqué!) ferment leurs salles,
EL tous, avec transport, beuglent comme des veaux,
Car la Province, dont les mœurs sont étonnante^,,
Prise Judet, BoisdelTre et Pel lieux aussi.
Los miracles de Lourde et l'ange Esterliazy
Conjouissent le cœur inibécile de Nantes,
3b A IRIVEUS LES GROUINS
C'est pourquoi les marchands de thon, les iiobcrciux
Se rebiffent à la manière des taureaux,
Abominant le juif sur la Loire et sur l'Erdre.
L'eau bcuilc leur est un « sorlUége bu ».
Ce qu'on leur voit d'esprit court en Druinont se pL-rdrc :
A ces causes, il sied de dire — Ici Ubu, —
Pour la rime et pour la raisou : Vive l'Armerdre!
<^-
PREDICATEURS DE CAREME
PREDICATEURS DE CAREME
ANS l'égtiseoù, béais et crasseus, maints fidèles
i-^r^ Apportent un encens de pieds ou de guauo,
L'abbé Vigoureux et son compère Etourneau
De la chaire, en cinq secs, dépassent les modèles.
Bossuet, Ezéchiel et Jocrisse, comme un
Seul homme, à travers leurs discours se font entendre
Et la vieille Loti, plus fardé que Clilandrc,
Rit au sabre avalé par le comte de Mun.
--" A Tnxvi-ns i.B-i oaoriNS
Hanolaux, en françaii d'almanach, pontifie :
El tous, cabots, prélats, ont leor photographie
Dans les vitrines, près de l'assassin du jour.
L'œil somnole, on dépit des contenances roidei.
Cependant que, malgré leur gorge faite au tour.
Les dames sans chemise ont un fort béguin pour
fiarrcs d(int la froideur va jusqu'aux humeurs froides.
^
VIEILLE DAME
'29
VIEILLE DAME
Inler Sucraticos nolissima fussa cinœdos.
JUVK.NAL.
i^A>:*; PRÈS avoir morné tant de rob
iJJl^Sii) — Heureux vaincu Je ce conil
robustes piques,
<^^A^2) — Heureux vaincu Je ce combat qui lui l'ut cher
Et poussé dans le plus intime de sa chair
« Les drafjons chevelus, les grenadiers épiques, >
Ma tante Jean Lorrain adhère au boniment
Coppéen, par qui va tleurir la Paix aimée,
Sans nul autre désir que prouver à l'Armée
Sou amour, en détail et collectivemeut.
rO A trave:»s les groiins
Palpitml (les viols subis avec ivresse,
Il inibiiii» les rc-gimcnls de sa caresse,
Donne aux liinglols des noms de princes fabuleux.
Son cœur oU ^'rand ouverl à leurs jeux déléléres,
Palrii t3 côHinic ciiamson I — Les cordons bleu»
Et \ei vieilles puUins ainoent les militaires.
?fǫ
NATIONALl-TEb
NATIONALISTES
7/>^ç\è) oiROXNK de persil, d'aclie cl de seringat,
(^2^15 Estimé par Forain qui le passe à Del'eure,
L'Eminenl Ecrivain mijote dans le beurre,
Sous les yeux attendris du père Vascagat.
Cassagnac, tout enfant, aux plages malabarcs,
Frct-é de graisse, avec dc.î plumes dans le nez,
Cependant que ronflaient dcj peaux d'âne barbares,
Improvisa quelques clialiuts bien soudanais.
3i A TRAVF.nS LE-; GltOl'ISâ
JuJet qui, chaque jour, suiolc l'ignoniinie,
Arlbur Meyer faisant manœuvrer son génie
A travers les biJels et les fonU baptismaux.
Voilà Jonc quels tengeitrs s'arment pour ta querelle,
Patrie ! et Max Rfgis choyé des maquerclles,
Et Drumout élu par les dompteurs de chameaux !
m:m
33
BALLADE
POUR CONGRATULER MES BONS AMIS LES
ÉTUDL^NTS DE l'A, SUR LEUR INTER-
VENTION DANS LES AFFAIRES
PUBLIQUES
.1 Emile Coltinct.
fiïJ/iGi\ES ailés, l'eu mâchant par la Liouclic,
[l^? Licorne bleue aux ongles sniaragdius,
Cucqujcigrue, alérion faiouclie,
Hircocerf plus rapide que les daims,
Ils ont vaincu les animaux soudains :
Aspics, zébus aux flancs tachés de rouille.
L'aigle de mer avec les agamis.
De plus, ils sont très bons pèche-grenouille.
Portant sur eux tous les gris-gris, hormis
Le rameau d'orqui dissipe la Trouille.
3i A TnwEns i.fs OToriNS
En faveur lUi galon prenant la mouche,
Dans les cafés noclurnes, ces édens,
Ils vengent leur pallie, ou bien font souche,
Entre les draps impayés des câlins.
« A bas Dreyfus ! A bas Zola ! » fiandins
Sortis de chez les Bons Pères, arsouilles
Qu'ont les bahuts les moins doctes vomis,
En eux Sottise impudente bafouille :
Mais à leurs mains aucun dieu n'a commis
Le rameau d'or qui dissipe la Trouille.
Pour Dcschancl, grand ma>trc os fausse couche,
De la Sorbonne ils ornent les gradins.
Monsieur Barrés leur apprend comme on louche,
Pour éclipser calicots cl mondains.
L'air cacatoirc et la gigue en boudins.
Leur Président se bal parfois, mais souille
Les caleçons quadruples qu'il a mis
Et, dans la rue, où leur cohorte grouille,
Nul ne présente aux électeurs soumis
Le rameau d'nr i|ui dissipe la Trouille.
-Alailie-valel, souteneur, nii:ue(louille,
Al i-ueille-les 1 Ce sont bien les amis.
riiie chez Vcrvooit le troupeau soit aJmis.
L:\cli03, braillards, et tôt sonnant la gouillc,
•Ju'à leur crapule, un jour tout soil permis,
Fuis le rameau qui dissipe la Trouille.
^
*
36
A rR\VFR> LES GIO-INS
.MALEDICTION DE l'ALLAS
<f/r?\^'E^T au Palais-Bou-lion plein de vclérinairps
'^^01 El de curi's aux lîiods félidps, que Pallas
AlliOno, rcvoyanl ce flol de cancrelats,
Se soulaïc en des hcxamèlres débonnaires :
Les voici donc tous ces goitreux que décapa,
Dans les l)Ourt.'s ou les préfectures lacitum'-s.
Le bain mal odorant et propice des urnes.
Voici l'aul Deschancl plus veau (juc son papa.
MALKOICTJON UE PALLAS 37
-Mais, liélas I pour charmer l'ennui des heures flasques,
Je ne reverrai plus Barrés pareil aux masques,
D'un Talleyrand dcnlisle ou d'un Guizot portier.
Et nous pleurons, moi la Déesse el lui la peste.
Devant le noir Destin qui ne fait nul quai lier,
Les deux cent mille francs que lui coûta sa veste !
3J A TftAVERS LES OROOINS
ROCHEFORT AIX GLA\IOTS
[ E inarrobc de Y Intransigeant, le Miche,
Vaudevillisle mùr pour les rapuciiiadca,
l'.ciiiit ilii hran et des calliarics en lornadcs
Sur son iiiufle où tous les lions hougres onl craclic.
Restez, villa I)iii>onl, maripiis, sur celte chaise
Pciréc où le praiid îv^a et Vervoort vous onl mis,
Utile à voire femme, cl bon pour ses amis.
— Mais ne vous risiiiicz pins vers le Poie-Lailiaist
nOClIEFORT AUX GLAVIOTS 39
Car les .facques sauraient vous raeLlre au dépoloir,
Baladin qui, sur les restes de Victor Noir,
Défailliles, pâmé de frousses colossales.
Voire temps est fini, vieux pitre, 6 Rochcfort !
Vous êtes désormais Géronte et non Bcaufort,
Le protégé des flics et non le Roi des Halles.
^21 mai (SUS. .
40 A TUAVERS LIS GUOCINS
SONNET
NVTOKj AnQL'is du ^ ascag.il;, 6 rioinnln, ô Piavroche.
^^^K Oui de la gens Vervoorl appiijvz If tiiiliiii,
\ oici le temps pour vous, paillasse el eoi|ucl)in.
D'exlialer un esprit (jui n'est pas saiia repruche.
Dnimont, le sacristain nidoreux, le larliin
Dont les femmes en mal d'enfant eraijinont l'approclie,
Laid comme un pou, va siéj;cr prés d'Ernest Roclio.
Voire beau-frère seul clapote dans sou buiu.
11 no connaitra pas, ce phénix des beaux-fréres,
L;i tribune où, deux fois, malgré les venls contraires,
lîarrés porta sa Iripc à la mode de Kant.
Pour sa croupe d'azur que le clarine jalouse
liriimrael n'aura de frac ni Thivrier de blouse
Kl Lisbonne diia qu'il manque un peu de cant.
iî
A rn.VVERS I.KS GUOtINS
\iij-.\m;lij-:
^.•^y^KiivoonT esl un poisson bleu.
j^)J^ Co i|u'il fait n'est tiiiéro honnête,
Mieux vaudrait tricher au jeu.
Quant à moi je goûte peu
Son langage, sa Ijinelte :
Vcrvoort est iin poisson bleu.
Il hat lo rapiinl, monlieii I
Puis escompte la biunette :
.Mieux vaudra. t triclier au jeu.
VILLANELLE 41
Il vend, comme Gandibleu,
Les tripes de Fanchonnette,
Vervooi't est un poisson bleu.
Son odeur lient de l'émeu,
Du putois, de la genette !
Mieux vaudrait tricher au jeu.
A Rochefort, combien feu !
11 dicte mainte sornette.
Vervoort est un poisson bleu.
0 l'abject lesse-mathieu
Dévot à la baïonnette !
Mieux vaudrait tricher au jeu.
Que, des talons au cheveu,
La plus fine l'encoinctle I
Vervoort est un poisson bleu,
Mieux vaudrait triclier au jeu,
mm
A TRAIEP.S LES GROUnS
VILLANELLH
l^AiM ^''"^ Ven'oori nous assigne,
^^JJ^S Mon cher Philipppe Dubois :
l'niKiroiis nasses cl ligne.
Comme, en août, une maligne
(-Iiiéche aliatlanl des noix,
Arulré Vervoorl nous assigne
Et, scomlicroïde insigne,
.Nous veut réduire aux abois.
Pré|ijrous i:assés et ligne.
VILLANELLE 45
Immaculé, fleur de cygne,
Plus blanc que les palefrois,
André Vervoort nous assigne.
L'amour lui fut une vigne
Pampinanle el de bon choix.
Préparons nasses et ligne.
Pour que Boisdcffre s'indigne
El que l'on nous mette en croix,
André Vervoort nous assigne.
Que nul n'accuse la guigne,
Mais bien le retour des mois.
Préparons nasses et ligne.
11 laut b'en qu'un dos s'aligne
Dans la saison des bains froids.
André Vervoort nous assigne,
Préparons nasses et ligne.
25 mai 1898
.» TRAVEnS I.V.S GnODIS'î
HALL A DE
rOUR CKLÉBHKK l,E 1 lASCO DE
-M. Gaston Mkrv
« M. Gaston Mcru. de la Libre Parule. qui n In
prétention de souhaiter à Cyvoct In bicnreniie an
nom du Journal des jésuites, est reconnu jiar le
asxisinnts cl sommé de sortir de la salle.
• Je suis venu ici pour saluer Ci/vocl au nom
de la Libre Parole. Iialbutie M. i/éry. et...
t 11 ne peut continuer. Un terrible concert d'im-
précations et d'injures s'élève. On crie de toutes
jiarts : • .4 bas la calotte! A bas la voyante! >
" M. ilérij est obligé d'abandonner la salle cl
se relire, non sans recevoir au passage rpiclijuci
horions. »
f l^j^) oNSiKun Drunioiit (|iii, pour aller cm innsiiiu-,
î^î^K Mrl un prépuce on guise île faux lie,
I>03 lioiiûus, oulragcuse bourrasque,
El ilii crachai plusieurs fois géminé
Sau»e son groin de porc enchifrené.
47
Mais, souteueur, aigrefin, casserole.
Vont foisonnant à la Libre Parole,
Le bleu dos dos y lorme un arc-en-ciel
Et, comme un lis à travers l'escarole,
Méry fait voir l'Archange Gabriel.
Ferrer la mule ou bâter la tarasquc,
Prendre une vieille au poil teint de henné.
Jouer du luth ou courir comme un Basque,
Cela se peut à quiconque est bien ué.
Mais fournir, chaque soir, à l'abûnnc,
Sous la lueur du quinquet à pétrole.
Quelque prodige et l'enduire de miel.
C'est à donner la petite vérole !
Tel, néanmoins, sans airs de FrageroUc,
Méry fait voir l'Archange Gabriel.
La Couodon qui met son vin en fiasque,
Ne montre pas les lignes de Phryné :
Mais les Kéroubs ont un goût si fantasque !
48 A TRAVEItS LES GROl'INS
J.-K. Uuysmans en demeure étonné ;
Le Sacré-Cœur lui-ucmc est consterné.
Car, attirant once d'or ou pistole,
Gaston, ledoax nabi, sur maint Pactole,
Peut intégrer au geste essentiel.
Sans revêtir la chape ni l'étole,
Mcrv fait vjir r.\r han^e Gabriel.
Cyvoct ! pour vous clia ilcr sa barcarolc
Extralucide, il vint comme Ariel,
D'un long euslache apprêtant la virole.
A coups de pied en plein potentiel,
Reconduisez ce nouveau l>csbarollc !
Jléiy fait voir l'Archan^'e Gabriel.
VH.LANELLE 49
VILLANELLE
On l'a tué coiime un César.
Comme un cmjirrcuv. coinii.c un tza r,
A'.'.ISTI'JE BaUANT.
f
uuMONT lut assassine,
- Dans Alger, en Barbarie,
l'itrce nobh, Domine ! i
Max Rcyiscjl consterne,
Car un pétard l'excoi-ic :
Drunionl l'ut assassiné.
liruiiiont au blair chilTounê,
Druniont, l'enlanl de Marie :
l'arcn ?1'j6(.s, Domine !
50 A travehs les grociss
D'Auj;ias trop forlunc
11 vidangeait l'écurie :
Drumo il lui assass'nc.
El l'Aralic déchaîne
L'abreuvail d'idolâlrie :
Parce nohis, Domine !
Bab-Azouii, illumiué,
Massacrait lajuivcrie.
Druinont fui assassiné.
Pour dételer son poney.
Tous marchaienl en j;rand'furie,
Parce nobis^ Domine!
Mais son carrosse a tourné
Ru' do la Ferronnerie :
Drumoit fui assassine.
VILLANELLE 51
Qu'on aille chez l'allorn'^y,
C'est un deuil poui' la pairie 1
Parce nobis, Domine '
Hosannah I qui lait un né ?
C'c?t la franc-maçonnerie :
Drumont fut assassine :
Parce nohis. Domine !
m
52 A TRAVERS LES GROTINS
HAI.LADi: l'ATKIOTIOL'E
SIR LA I.OIANCE DV COLONEL HENHY
JXv>]\J AMT (lu Drap d'Or cl vous lice guerrici c
'^^^;r)5 '^^'''* Beauinanoir ou des Monlgonuncry,
Quelques héros, poursuivant la carrière,
Oui, de nos jours, vos palmes refleuri.
Les cainelols mènent leur hourrari.
C'est Roclicfort, Thièbaud et Millevoye,
Arthur Meyer, Judct qui semble une oie,
Et puis Barrés gazouillant da capo.
Si que Drumonl ne se lient plus de joie :
L'houneur lleuril à l'umbrc du Drapeau.
BALLADE PATRIOTIQUE 53
Après avoir besogné sa prière,
Boisdeffre.. comme un abcès trop mûri,
S'est répandu chez la gent huitrière
Des sacristains patriotes. Un cri
D'amour : « Voici le colonel Henry ! »
Est-ce Roland, sir Pandarus de Troie,
Ou Maugiron en armure de soie,
Qui de tranchant et d'estoc fait rampo ?
Tels champions se peut-il que l'on voie '?
L'honneur fleurit à l'ombre du Drapeau.
Le torse nu, portant sous-ventrière
Et maints agnus vantés par G. Méry,
Comme il est beau de rage meurtrière 1
Morts du Tonkin et morts de Satory,
Vos officiers (tel Ubu, chez Jarry)
Prennent le sabre et la dague où se noie
Le sang des cœurs, l'atrabile du foie,
Hélas I Picquart, en lui piquant la peau.
Du sieur Henry le cubital foudroie I
L'honneur fleurit à l'ombre du Drapeau.
oi A TRAVERS I.E< GnOlINS
Prince Crozior, successeur de Monljoic,
Le protocole est dans la bonne voie ;
Chaulons noël de Saralow à Pau !
Que l'iris des trois couleurs se déploie :
L'honneur lleurit â l'onilire liu Drapeau.
S5
BALLADE
POUR MAGNIFIER LE « CERVEAU-CHEF »
5r.\e3t Lafleur, Labranche ou Lajeunesse,
Et Laverdurc, el Poilaunez, et Bec, |
Et Jean Rameau vanté pour sa finesse,
Et le cafard, el le snob, et le grec.
Suivent Barrèj-psychopompe, leur cheik.
Tous, à l'envi, pour humer la gadoue
Et récolter da pognon dans la boue.
Citent Hegel, avec des mots pédants ;
Mais lui. poussif, bientôt cane et s'enroue :
C'c3t un requin avec de fausses dents.
A TllVVF.RS l.rs GROUINS
Il enviait, au temps de sa jeunesse,
Les margotons et ceux qui font avec.
Son estomac, qu'emplit le lait d'ànessc.
Dégobillait cervoise et jerez sec.
Venus lui fut gccéreusc en échec.
N'ombra jamais sa lèvre ni sa joue
Le poil follet dont Muselle s'engoue.
Mais la Boulange, enuni ses claquedents,
Le vit monter « en esquivant la roue » :
C'est un requin avec de fausses dents.
Les électeurs, de Port-Vendre à Gonessc,
Fidèlement reconduisent son breack.
Lourdauds impurs I Faut-il qu'on méconnaisse
Goelhe et Morny panachés de Gobseck,
Barrés enfin, tribun, daiidic ou mec.
Son avaloire, où le chicot se joue,
Laijse fillrer une adorable moue,
Et, comme il fut nanli d'inslincts prudents.
Au milieu des Hamollots, il s'ébroue :
C'est un requin avec de fausses dents.
Napoléon 1 Bandit qu'un pleutre loue,
Vois ! Erynnis Ion phantasme dévoue
A ce Banès, frère des Peladans :
El l'histrion sur ta peau fait la roue !
C'est un requ-n avec de fausses dents.
(DP
r.7
08 A TBAVEIt.'; LES UROLINS
1
vTA^E- oleriPurs de la Meurthc et de la MospUe
jr^^35) '-uré*- pii'aiit>, boufL-crtis au\ gaiils de filoii^ll.',
Mastroquels, tenanciers de lupanars aussi,
Les électeurs de Toul, de Briey, de Nancy,
Marguilliers sur leurs baoes et maçons dans leurs lo?C5,
Se désopilent à déraciner les Vosges.
Car, tandis que Driimont, en Alger, fait florès,
La ^foire, le Destin, l'Anankè sur Barrés
Exercent des rigueurs à nulle autre pareilles.
En vain il rebattit sans pudeur nos oreilles
De la Lorraine (cet Auvergnat!/ du drapeau
Et de Hegt.-l, les élect^-urs disent : c La peau I >
0 comble de misère ! 0 douleur forcenée I
Pendant quatre ans encor, nous verrons des Jounicei
Parlementaires et les articles mordants
Où l'intelleclucl aux mâchoires sans dents
E\hale, cha()ue soir, âme de griefs pleine,
Sa rancune • t le faeuenas de son baleine.
59
ijui pourrail cependant représenter l'émoi
Dont renâcle, en ce jour, le pontife du Moi ?
Avoir léché le... dos clérical de Boiïdeffre,
(^Rcisland demanderait une autre rime en effre)
Avoir gueulé, tel un pulois, contre Zola,
Etre la crème des pleutres, et rester là !
Cnssagiiac de qui les grand'mères, par la queue
Se suspendaient aux cocoliers des forêts bleues,
(;a34agiiac, le babouin de Gascogne, est élu,
Et Millevoye, et Déroulède qui n'a lu,
Tant son àme est par le chauvinisme rouiliée,
Ni Schopenhauër, ni les bouquins de Fouillée!
Ainsi Barrés, dont le suffrage universel
Goûte modérément le dandyme et le ; el.
Récrimine. Un mégot à parfum de lessive,
Un Soutados puant lui gratte la gencive.
Il prodigue aux cochers de fiacre les saints
Et l'épicier du coin ne le reconnaît plus !
4^
60 A TRAVERS LES OROUfNS
BALLADE
PUIR EXALTER LES DOYENNES DU PERSIL
. Viennent les marguillicrs jierrerx.
IjCs bedeaux porteurs <ie caiilcres.
Les givs messieurs chargés d'Iiiver'i .'
Je couronnerai d'œnotlicres,
1 Itc lilas et de myrihes verts
Toute la chambre des notaires .' §
h. T.
>ifÀy2Kiii3 ma nielles où nos bisaïeux se sont plu
-LK^I lialloUcnt, à présent, de manière fantasque.
I.c liriiiu- roui;o sur leurs crânes vermoulus,
Leurs crânes pareils à des ris de veau boullus,
luipriuie tels nia^inias qu'où ne rincera plus.
61
Leurs museaux d'ichueumon, de pieuvre, de larasque
Bàilleul : ainsi le Irou punais de l'Actiéron.
Voici les dents d'émail sur le chichoL marron!
El les robes couleur d'enfanls, rose ou cilroa :
Car ces dames, ayant braguettes soulagées,
De fastueux chichis pavoisent leur giron :
Loj aux vieilles putains d'ans et d'honneurs chargées!
En laveur des meschins pauvres et résolus,
Leur générosité vénérienne casque.
Ignorant, comme il sied, Malle-Brun ou Reclus,
Le muletier avec force auvergnats poilus
Affronte de grand cœur ces palus el ces glus
Fétides, nonobstant les huiles bergamasques.
, Est-il bardeau, mulet, viédaze, aliboron,
Pour oser en tel lieu risquer un paturon ?)
Elles défaillent avec les cris de Baron
Au seul aspect des gcnitoircs insurgées,
Et monsieur Deschancl à les servir est prompt :
Los aux vieilles putains d'ans el d'honneurs chargées !
62 A TRAVERS LES CROIINS
Clamons : « lopieanJ » En des bouquins peu luj,
Carmen Sylva, la Ratazzi qui semble un masque
Japonais et l'antique Mab ans seins velus
Des petits jeunes gens quémandent les saints.
— 0, sous vos cheveux bruns, Lafayettc et Caylus ! -
Sans parvenir jamais à la dernière frasque,
Elles bouillonnent, tel un magique chaudron,
Cependant qu'imbibé de fards et de goudron,
Loti, cagneux mais beau, darde son éperon
Pour l'ébaltemenl des vétustés Lalagécs
Et présente frère Yve à leur décaméron.
Los aux vieilles putains d'ans et d'honneurs chargées
L'arbre caduc, jetez les rameaux et le tronc !
Prince, beau tourmenteur, Ezzelin ou Néron,
Coiiïc ton casque d'or, atteste le héron
Et (]ue, grand'nières par tes ordres fustigées.
Elles payent enfin leur obole à Caron,
Ces antiques putains d'ans et d'honneurs chargée
CHANT ROYAL
63
CHANT ROYAL DE LA MANSUETUDE
ECCLÉSIASTIQUE
Ecclesia abhorret a saitqiihie —
^>VA/*<FiN que mieux soit sa bonté connue,
^^^^ Je veux, Seigneur, sur un rythme ancien,
Chanter l'Épouse, à ton cœur, bien venue
Que, pour le carme et le sulpicien,
Nabi Schlêmô, paillard magicien
Prophétisa dans les points et cédille
De son Cantique. Elle est douce, godille
Comme un beau lys par l'aube caressé ;
Onque le sang ne rougit sa mandillc :
La Sainte Eglise abhorre au sang vcrjc.
6V A TRAVERS LES GROCINS
Pourtant il sied que Ferveur mainlcouc
Avec l'athée ou le pyrhonnien
De Belzébuth, emplisse la cornue.
Epoussctons juif et luthérien ;
Que l'indévot paie et ne ^'arde rien 1
C'est pour très cher qu'on pend, (|u'on e.isorillr,
Que le troupeau sustente qui l'étrille.
Nous n'avons pas renié le passé.
Vois! Dans Montjuicli, dans Cuba, dans Manille
La Sainte Eglise abhorre au sang versé.
Père Didon, ta voix fra])pe la nue
El Rochefort te vante à Possien :
L'autudafé par vos soins continue.
Ténor pieux, cher au béotien,
-Meyrr l'approuve et Jamonl le fait sien.
Pour toi, Guérin frapi)C, Thiébaud nasille
A nous, soldats! tpi'on brûle, qu'on fusille
Tout scélérat, suspect d'avoir pensé,
(Jue dans l'ivraie, on plante une faucille !
La Sainte Eglise abhorre au sang versé.
CHANT ROYAL 65
Aux bois d'Arcueil où Science csl menue
Fleurit le sport peu cicéronien.
En caleçon et la poitrine nue,
Les jeunes veaux ignorants, ô combien!
S'exercent en un match quotidien.
Sous les maillots brodés de canetillc,
Un fo'jt-lialler catholique émoustille.
Quelque bedeau prompt à faire da se.
Au Racing-Club, l'enfant de chœur titille.
La Sainte-Eglise abhorre au sang versé.
Ainsi grandit l'engeance biscornue I
Bourgeois cafard, gâteux patricien,
En baladin le monstre s'atténue
Et Dominique au rhétoricien
Apprend le saut de carpe ou le maintien.
Torquemada sourit dans sa golille
Quand, écuyer de chevaux ou de ûlles.
Son alumnus convomit l'ressensé.
Quand sur Zola Cassagnac dégobille :
La Sainte-Eglise abhorre au sang versé.
C6 A TRAVEBS LES GRODINS
Tourne les yeux vers Alger où l'on pille.
DRU.MONT, (iiacal mâliné de s,'orille !
Ton chapeau bleu rayonne au quai d'Ursay,
Bon conslriicleur des Ham et des Bastilles,
Cuistre sanglant plus bète que Sarcey,
Dos el convicls le sont une famille :
La Sainte-Eglise abhorre au sang versé.
ODELETTE
{A In manière de Ronsorcl).
nocoLATiEn, faussaires,
Du Gaulois émissaires,
Et ce gredin choisi,
Eslerhazy;
Les tantes, les crapules,
Evcques sans scrupules,
Artons déshonorés
Et les curés :
C8 A TRAVERS LES OROUINS
El les bonnes sœurs grises
Distillant pour les brises,
Au fond de leurs clapiers,
L'odeur des pieds ;
Les magistrats intègres.
Les cocottes, les nègres,
Les daims, les maquereaux
Et les bistros ;
C'est ainsi qu'on recrute
Voleur, escarpe, brûle,
Uu personnel classé
Au quai d'Orsay.
Ainsi qu'une relique,
Mcyer, juif catholique,
Arbore avec bonheur
La cioix d'honneur.
69
Alfred Duquel, Mézières,
Loti, fleur des rizières,
Et les divers Quesnays
En sont ornés.
Major de table d'hotc
Cassagnac ne fait faute
D'avoir cet oripeau
Dessus sa peau.
Elle orne tes fumistes,
Wilson, les panamistes
Et Gaston Jolivet,
Ce pur navet.
Ils sont hideux et bêtes,
Us portent sur leurs tètes
L'air brutal ou sournois
Propre aux bourgeois.
70 A TRAVERS LES GROCINS
Ils lèchent les derrières,
Les pattes meurtrières,
Les sabres dégainés
Des galonnés.
Tous, ruisselant d'extases,
Bénissent les ukases,
Le drapeau tricolor,
L'Elat-Major.
Et c'est vraiment justice
Que ce monde obrepticc
El tous ces bougres-là
Chassent Zola.
12 avril 189S
v\T<;.
QLATORZAIN D U[VER
QUATORZAIN D'HIVER
A LA LOUANGE DE CLAUDIC-VIOR LE BENEVOLE
2sOli'0 subtil et brillant ccricain a réprouv:...
DN BEPORTEH DE la Patrie.
La paix est ton but. ù Pacifique !
E. RENAN, Invocation sur l'.icropolc.
AMEAU chantait : Je ne suis pas joli, joli ;
■■ ' Rivarol a trouvé chez moi son antipode.
Ignorant tout français, je beugle mes épodcs,
Avec le geste d'un qui fait pipi au lit.
Les plumassicres dont j'illustre les soirées
Baillent quelques éeus pour m'entendrc. Et voilà
Qu'avec Dreyfus, avec Scheurer, avec Zola,
Un marasme soudain alanguit mes rentrées.
72
A TICAVEnS LES GROCINS
Le commerce cjI dan; le marasme I ce qui fait
Que j'ai, ce soir, lavé la tête cl dit leur fait
Aux gazelicis que Millevoye excommunie.
Destin, sauve la France et garde ses quibus
Au poète cagneux qui grimpe en omnihus
Et « va-t-cu ville » pour gasconncr son génie !
MELANCOLIE ODEONESQUE 73
MELANCOLIE ODEONESOUE
if^^2ou3 rOdcon blafard que décorent les proses
«^k^r? D'Haraucourl, elSliakespeare, en vers tripatouilles,
Comme un « bougna » pensif, entre de vieux « souyés »,
L'Auverpin ne veut plus qu'on effeuille des roses.
Les poètes, même Paul Fort, sont renvoyés ;
.Iran Lorrain dont la ménaupause a des chloroses
El Vicaire cousu de longues hydrartroses,
Les Montforts, les Leblonds avec les Bouhéliers.
74 A IRAVERS LES GROCINS
Nul ne chantera plus une ode triomphale !
Pégase inemployé, Chimère ou Bucephale
Rongent leur frein dans ton établc, 6 Ginisty I
Verse-nous maintenant l'ivresse I Et, dans l'cntr'acle.
Ne manque pas d'offrir à la foule compacte.
Pour deux sous, les marrons chers à Pierre Loti.
(DO
CANDIDATS A L ntMOniALITE
CANDIDATS A L'IMMORTALITE
\ UAND au poète Dierx incombe ce bonheur,
Bien des forls sont tombés dans l'arène tragique :
Ils ne t'ont point élu, barde pédagogique,
Sully-Prudhomme, honneur des Légion d'honneur ;
Ni Coppée — un François d'Assise tricolore —
Ni le comte Robert, ni ma tante Lorrain,
Ni Jean Rameau qu'on exhibe pour un florin.
Après ces chefs, d'autres, moins grands, restent encore.
76 A THAVKR» LES GROCISS
Plus négrc que ce freux où vit le preux Arlhus,
Moréas qui, le soir, au compte-goutte, urine,
Fait couver par Maurras d'innommables fœtus.
Mais le Pierre Puget du suif, des margarines,
Jean Richepin donna l'être à Jehan Rictus
Qui peint son âme d'or sur le mur des latrines.
***
Or ces guerriers ayant pousse le cri d'alarme
El déterre la hache au seuil de leur gourbi,
Elèves de Barrés et poteaux de Bibi
La Purée, en tous lieux dégobillont leurs carmes.
Les symbolistes, les simplistes, les romans.
Ceux qui riment, à soixante ans, leurs pucelages
El ceux dont les neurasthéniques mucilages
Pour Monsieur de Vogue sont emplis d'agrément ;
CANDIDATS A L IMMORTALITE
Fiémine plus hideux que les têtes de l'Hydre,
Et Vicaire pochard comme une pomme à cidre.
Et ceux qui font des vers pour les cafés de nuit :
Tous veulent sur leur front le diadème esthète,
Ces palmes dont la fleui' amétbyte leur duit,
Et l'orgueil des festins à douze francs par tête.
4*
A TKAVEKS LES GKÛllNS
l'P.IX DE VERTU
f^{^) AQUiLLÉ, solrnacl, disert cl peu joli,
^^L^a '-e liérc de frère Yve, entre les vieilles dames
Pérore. Il a des solécismes tout pleins d'âme
Et, de le voir si vert, le Beau Frère a pâli.
Feu Monthyon, parrain d'une fâcheuse rue.
Inspire ses discours où de beaux mouvements
EniTuirlandenl, tels que du persil, les tlionnns
Dont la vertu est, en ^'rand pompe, secourue.
PRIX DK VERTL'
Et 00 sont des larbins inlcgres, des troupiers,
Oui reniporlcnl la gloire avec l'argent modique,
Puis un frère convers, sentant mauvais des pieds.
Mais l'orateur parcourt son thème fatidique,
Rh\ thmé par l'évonlail au murmure berceur;
Car, le trouvant lardé, comme elles, et pudique,
Loi; vierges de Prévost disent : « C'est une sœur ! »
80 A TRAVERS LES GK0C1>S
RO.NDKL
Éryv^ANS les cafés d'ailolescenls
Câ^^, Moréas cause avec Frémine :
Luii, d'un parruit cuistre a la mine,
L'autre beugle des contre-sens.
Hicn ne sort moins de chezClassens
Que le linge de ces bramines.
Dans les cafés d'adolescents, .
Moréas cause avec Fréinine.
Désagrégeant son albumine,
La Tailhède offre quelque encens :
Maurras leur invente Commine
El ça fait roter les passants,
iJans les cafés d'aiiolescents.
81
82 A TRAVERS LES CnuiriNS
CONSCRITS
(A la manière (t'Esparbèi,
iGLE lie Boustrapa, voici ton jour ! Les Ciars.
Ceux de la Haute avec ceux de l'Epicerie,
Se gondolent vers la loterie, ô Patrie,
Sous l'œil des niarcbichers et des maires gagas.
Ils arrivent du rlaque ou bien des séminaires,
Fils de cocottes chez les Ûblats cduqués.
Courtauds de magasins, lopcttcs dont Ici quaii
Un*, vu le.> jeux, parmi leurs doutes urinaires.
CONSCRITS 83
L'âme Irançaise cl) aille (ô que faux!) dans leurs voix ;
ils s'arrèlent pour dégurgiler du pivois,
Tel un cabot perdu que l'on mène en fourrière.
La Victoire, aujourd'hui, leur montre le chemin
El des boxons épars leur ouvre la barrière.
Vivat 1 Le copahu renchérira demain.
81 A TRAVERS LES GROIINS
1-UlRi: AUX JAMBONS
(Intimité)
^l\f/t) A mignonne, voici l'avril 1 l'n air plus doux
&^\^4 Uù flolle l'âme populaire du saindoux
El (les frites, ce soir, invile aux indécences
Les troubados sorlis avec leurs connaissance;.
Les boutiquiers ventrus, aux blairs de tamanoir.
En famille, ont empli le boulevard Lenoir.
Ils ga^'nent, essoufflés, la barrière du Tronc
Et les lutteurs forains sont tous en maillot jaune!
FOlilE AUX JAMRO.NS 83
Viens I nous allons humei' dos glaces à deux sous,
Dédaignant le concert arabe, où les dessous
Précaires des oulels-nails sentent le rance.
— Comme il est pur le ciel do notre belle France t
Vinns I nous irons tous deux, fidèles au drapeau.
Complimenter 1' < homme de bronze» dont la peau
Fait voir l'airain si cher à Monsieur Déroulède.
Le sabre, le fusil, la dague de Tolède
Figurent, à son poing aimé des caporaux,
Les croûtes do Neuville et celles de Morot.
Nous prendrons notre part de ces plaisirs austères
(Trois sols pour les pékins, deux pour les militaires)
El notre cœur où Jeanne d'Arc revit encor
.Magnifiera Boisdell're avec l'Etal-Major.
Nous déambulerons parmi les odeurs grasses,
— Tes bottines à huit francs cinquante, un peu lasses —
Jusqu'à l'heure oi, la main dans la main, et suçant
Les berlingots, dont le parfum est innocent,
86 A TRAVERS LE5 GROCIKS
Nous gagnerons, vers la place de la Bastille,
Les tirs aux macarons, luisants de canetillc
Et l'échoppe où l'ou voit, telle que nos guerriers,
Une hure de porc ceinte de verts lauriers.
?^^
VtNDREDI-SAINT ^7
VENDREDI SAINT
fr?J>' Rop de merluche el des lentilles copieuses
l^ — Seule réfection tolérce aux croyants -
Enjolivent de certains rots édifiants
La constipation des personnes pieuses.
Dans l'omnibus — aucunement blasphématoire —
-Montent force nonnains, coiffes et canezou :
Et c'est un air de deuil en les boutiques où
Sourit la poire du Bienheureux Pcyreboire.
8S A TnAVF.ns les cnoriNS
Quelques petits enfants — dirai-je maslurbés ? —
Vers Saint-Siilpicc, cl leurs maîtres, larges abbés,
Du gogucnot prochain cjouisscnt la vue :
Et, près d'eux, obstruant le degré colossal.
Un hommc-alTichc avec celte annonce imprévue :
<' Concert tpiiitwl à Tivoli Vniix-IJall. »
^
^
I
i
LE PETIT EPICIER FAIT SES PAQUBS S?
LE « PETIT EPICIER » PWIT SES
PAQUES
; E3 ostensoirs, les Sacres-Cœurs aux airs dcvols,
Les cloches et tout le fourbi des cathédrales
Inspirent à mon cœur des sentiments nouveaux
Qui consolent mes défaillances urélhrales.
Iles vicaires qui n'ont jamais rien invente
M'instruisirent sur les douleurs du Purgatoire.
La foi des humbles, la savate humilité,
Angélisent mon rein, que trop supinatoire !
'.0 A TIIAVERS LES GROllNS
Et c'est pourquoi je vais, dans le petit local,
tngurgllcr tout mon bon Dieu, le Fils, le Porc,
Kt l'Eipiit, qui souvent, chez Xau, se fait la paire.
Comme Jonas, évacué par son rorqual.
Je bafouille pour la clientèle abrutie :
Ma fistule au « petit Jésus » sert de régal.
Et tous mes foudemeuts sont pleins d'Eucharistie.
IDYLLE SrBCRBAINE 91
IDYLLE SUBURBAINE
A Emile Métrot.
^"^^ oici les bicyclisles,
Ainsi que des ballisles
Leurs machines langant
Sur le passant.
Voici les dégrafées
Hideusement coiffées,
Telles qu'un hanneton,
Dans leur veston.
A TRiVERS LES CROCISS
Comme no porc que l'on châtre.
Le calicot folâtre
Hurle, par les faubour^-s.
Maints calemboars.
Voici Joseph Pnidhommc,
Qai loin, loin de Sodome,
Sans mail-roai-h de Bindcr,
Prend un bain d'air !
Pans le bois de Viii'-ennes.
Les magistrats obscènes
Viennent se trimbaler
Et pédaler.
Ça refait leur échine
De rouler à machine.
Libidineux cl gras,
Sur le ray-grass.
IDYLLE SDBURBAINE 93
Et les dames faciles
Ricanent, imbéciles,
De pister, à vélo,
Maint gigolo.
Tout le bois en fourmille.
Puis, ce sont des familles
Complètes i'oiwerriers
Inébriés.
Ils apportent salade,
Gruyère, marmelade.
Veau, laitue et pourpier,
Dans du papier.
Une âme de friture
Egayé la nature.
Qu'emplit ta grande voix,
Clicvaudebois 1
94 A TBAVF.RS LES GROCINS
Uuclque parfum agreste,
La sueur et le reste,
Diversifie au loin
L'odeur du loio.
La poussière aasaisonne
Les macarons. Foisonne
La mouche des cacas.
Sur le lilas.
Plaisir combien champêtre !
Et qui ne voudrait paitre
Ces repas digestifs,
Sur les forliffs !
L'Himalaya dé^'oùle
Les humbles. Somme toute,
Tu \aii\ mieux que lu Nil,
Lac Dauuiénil.
IDYLLE SUBUnnAINE 95
Car le tramway du Louvre
Peut, quand le temps se couvre,
Y mener les bourgeois,
A travers bois .
0 douceur efficace I
Lamper un melécasse
Et le biller plus dur,
Devant l'azur !
Ainsi triomphe l'oidie !
Xul n'a besoin de mordre,
Ayant usé ses bas,
En tels ébats.
El, toute la semaine.
Les cyclistes que mène
Un rude et tatillon
Chel' de rayon :
96 A TRAVEKS LES GROIINS
Les employés moroses,
Ayant humé les roses
Et longtemps baladé
Par Sainl-Mandé,
Acceptent ergastales,
•■ Camouflets et sportules
El les repus grugeant
Leur pauvre argent.
C'est pourquoi leurs équipes
T'émeuvcDl jusqu'aux tripes
Coppéc, 6 sacristain
Si peu hautain !
^
CHEMIN d'eglogce 97
CHEMLN D'EGLOGUE
Fers lo train allongeant ses « ùilels» sur la voie,
L'essaim hilare des calicots s'est rue.
Dans les compartiments où des gens ont sué
Il s'installe, joyeux d'une cmétiquc joie.
En face de la grue énorme dont le buse
Malaisément contient une gorge bovine,
Les bouquins de Drumont édites par Savinc
Délectent un bourgeois qui ne sent pas le musc.
as A TRAVKRS LES G^lOt'I^tS
Cela (Icurc l'odoiir da picdii, la caqiiesangue
Des cnfanrons cl le mcgol, qui, sur la langue,
Vous fait passer comme un renvoi de Krysinska :
Et, plus loin, les époux Duvcdran qu'accompasnc
Lc;ir liérilicr, couleur de morve el de caca,
Soignent le melon qu'ils portent à la campagne.
c^
TROISIEME SEXE 99
TROISIEME SEXE
(5';J N vestons gris, en chapeaux mous, par les quinctinccs,
^ji Avec des mouvemenls câlins et paresseux,
Rôdent les icoglans parisiaques, ceux,
0 Prudlioimnc, qu'au feu céleste lu dénonces.
Ll'3 tantes I peuple hilare cl nocturne pour qui,
'foui sergent de ville est un oncle débonnaire,
Près des Ambasaadews où chahute Bonnaire,
Où lesgomnieux hoivcnl de l'aie et du raki.
univers/]^
BfSLIOTHECA
Ohavie*3»a
IDO A TRAVERS LES GROtINS
Dans les leniplcs indous que tapisse la cure
Infaillible de tous les bobos, sans mercure.
Us lèvent les banquiers en rut, impudemment I
Et le poète Jean Lorrain de Normandie,
Accordant pour leur los sa syntaxe hardie.
Les célèbre en vers faux, — avec clonneiuent.
FETE NATIONALE lOl
FETE NATIONALE
(Intimité).
A Le Pic
[E quatorze Juillet et ses chevaux de bois,
Ses guinches, où les bons zigues, saouls de pivois,
Etieignent, pour l'en-avant-deux, leurs maritornes,
Tandis que les cocus vont aérant leurs cornes,
Me charment. J'ai revu, place du Panthéon,
Le doux vieillard qui jouait de l'accordéon
Dans la rue Oudinot, presque sous mes fenêtres,
A l'heure où la splendeur de Félisque, et ses guêtres
Se dérobaient parmi les mégissicrs obscurs.
Car j'ai toujours aimé les humbles aux cœurs purs.
102 A TUAVKUS LES f.RoLlNS
Aux pieds douteux corame un vers de Pour ta Couronne,
Car je suis le passant bénin, que n'environne
Aucun rayon, aucun éclair, aucun soleil.
Mes articles me font aux concierges pareil.
Aussi, dès que revient la date fatidique
Où la junte des mannezingues se syndique
Pour imbiber de furfurol le populo.
Je hisse à mon balcon, — ainsi qu'au bord de l'eau
Quelque Irciiible où le soir ému se décolore.
Un étendard fait de flanelle tricolore
ï
B\LL VUt li .llILLET 103
BALLADE 14 JUILLET
'jOrtJïi-AiBONS, trompeltes et hautbois,
^~^ • Chant du dépait » et « Marseillaise :
Beuglent sur le pavé Je bois.
Les rousses-cagnes, dans leur fraise,
S'en vont au pourchas de la braise
Près du quai Michel, ce Lido;
Voici le lendemain du treize :
Ça se fête iJeyutulamlo.
104 A TRAVERS LES OROCINS
Joseph Prudhomme et Pipenbois,
Les genlloraen de la Corrcze,
Ceux du Perche el ceux de l'Artois
EructCDl mainte catachrèse
(Au veau l'on reconnail la fraise !)
Le roussin avec le bedeau
Se coavomissent à leur aise :
Ça se fête deguevlamlo.
Mais, où donc est la fleur des pois?
Montesquiou, Péladan, Barrés-e,
Les Bourget el les Diculafoy
Sollicitant la diurèse?
Les ceuss qui viennent de Manrése,
Bloy vociférant son credo
El frère Yves en Navarraise ?
Ça se fête degueulando-
BALLADE 14 JUILLET lOo
Prince, qu'éleva dans Sorrèze
Un moine à tripes de vedeau,
Plus n'est besoin de rime en « rose
Notre joie est combien frrrançaise 1
Ça se fête degueulando.
f#
UN SOUPER
CHEZ
SIMON LE PHARISIEN
(Coule de Noël).
UN SOUPER
CHEZ SIMON LE PHARISIEN
(conte de noel)
A Charles rignier.
y/^^\/n, ce soir-là, ncuvicmc du mois do Tebeth, Si-
^kI.DQ mon le Pharisien régalait quelques amis dans
sa villa des Sycomores. L'assistance était nombreuse,
choisie et respectable, composée d'hommes riches et de
iirnmes à qui la durée du putanat rechampissait une vir-
ginité. La maison du Pharisien comptait, à bon droit,
parmi les merveilles de Jérusalem. Des chevaux de race
et des valets sans nombre en faisaient une demeure cossue,
majestueuse et adéquate comme il sied à un notable com-
merçant. L'usure, le proxénétisme, l'attachement aux
dogmes religieux immatriculaient Simon entre les plus
1 10 A TRAVERS LES GROCINfl
ilijrncs bourgrois Ses opinions prépondcraienl devant 1o
Sanhédrin. Les vierges impubères n'avaient rien que i\f
favorable à ses désirs. Il recevait les pens de Bourse, Ir;
marchands du Désert, les trafiquants nomades. Pour les
divertir, il amenait à grands frais des Oulels-Nails de la
Cyrénaique, des montreurs de singes et des ténors. Il
louait parfois des académiciens, afin d'essuyer ses ba-
bouches dans leur creux poplité. L'on rencontrait chez
lui SuUy-Prudhomme, fils de Joseph, qui, sourd, timide
et vierge irréductiblement, portait en plein visage, sons
forme d'eczéma, sa croix de commandeur. Pierre Loti,
dans ses voiles do bayadère, y fréquentait, s'oublianl,
parmi les antichambres à causer de trop prés avec les
larbins noirs. Jean Lorrain y crachotait, en suceuse
experte des médisances bordeiiéres, de quoi les vieilles
dames se pâmaient.
Doncqucs, pour fêter le solstice d'hiver et l'aube du
grand jour annuel, on buvait ferme chez Simon. La salle
du festin éclatait de joyaux, d'orfèvreries, de lumières et
de vins. Sur une haute estrade, vêtus de costumes bario-
lés, incommodes et somptueux, des musiciens bari)ares
concertaient doucement. Les sambuques, les violes d'à-
UN SOUPER CHEZ SIMON 111
mour et les cymbales qui, jadis, éteignirent la voix d'Or-
phée, accordaient leurs soupirs aux flûtes adoniques. Sur
les crédences mouraient de sombres fleurs, et, des buires
violettes, les narcisses, les anémones tombaient en péta-
les odorants. Plus bas, sur les tables aux nappes de bys-
sus et d'amiante, les fruits, les victuailles s'entassaient :
grenades voluptueuses, dattes couleur de miel et raisins
d'Engaddi. Les quartiers de chevreaux flanqués de laitues
vertes, les pains azymes, les gâteaux saupoudrés de sésa-
me et les fromages, sur un lit de cumin ou de fenouil. Des
esclaves aux cheveux nattés offraient, de leurs mains
adolescentes, les breuvages illusoires, versaient de haut,
en un jet mince, et le vin de Chiraz et les muscats plus
lourds qu'aux saisons vendémiaires, apporte de Syrie
l'âne robuste et gai.
C'était l'heure où, parmi les odeurs chaudes, le fumet
des viandes et l'exhalaison des membres en sueur, une
ivresse grandit qui fait les cœurs joyeux et la lèvre con-
fiante. Les convives parlaient tous, d'une voix aiguë et
convulsive, aux accords de la symphonie lointaine.
Prés du Maitre, les Dignitaires s'étageaient, couverts
de rubans, de crachats et de plaques honorifiques, cha-
112 A TRAVERS LRS GBOUINS
marrés d'emblèmes ridicules. C'étaient les virtuoses du
faux, les professionnels de l'homicide, les surhumaioj
du crélinisme.
Teintes de fard, d'autimoine et de céruse, avec force
chignons couleur de safran ou de henné, les vieilles pa-
triotes contrepointaient leurs gorges blettes de lumineuses
pierreries. Bob de Capharnaùm et Lucie de Belhsaide,
la fille du Tanneur, et les saintes femmes du Bal dos Va-
ches montraient, jusques à la ceinture, le faisandé de
leurs appa.»:. Mais, sous un dais de pourpre et domi-
nant l'assemblée, une feuime vêtue de noir causait avec
.\rthur Meyer, patricien de Venise. Chacun saluait on
elle, avec un respect assaisonné d'admiration, la veuve du
martyr, l'héroïne des cent mille francs, la Colonelle Henry.
Drumont, sous la robe verte cl jaune dont Vérouése
peignit la brocatelle; François Coppée, en velours de
Gènes (tramé coton) ; Déroulède en fustanelle tricolore,
et Barrés avec de véritables fausses dents se groupaient,
faisaient apothéose, cependant que Judet Iscariote arbo-
rait, non sans quelque emphase, son costume d'cgoulier.
« Moi, disait Coppée, je suivis, tout enfant, le régi-
ment qui passe. Ma jeunesse verdoya d'amours ancil-
l'N SOUPER CHEZ SIMON 113
laiies, tout comme un pot de basilic. Sans effort préalable,
je devins bête à manger du loin. Le basilic est mort, le
loin est desséché, la (leur de ma jeunesse est caduciue ;
mais la bêtise qu'on me voit pcrmane dans l'étcrnilé.
— Vive l'armée ! exclama Dérouléde.
— A bas les juifs 1 hurla Gaston Méry, que Possien,
ignoblement ivre, chavirait dans les bras de Pollonnois,
|)ar le seul faguenas do sa malebouche pestilente.
— La chéro est délectable, notifiait le marquis do Vas-
ca.^'at, redressant d'une main fébrile son toupet légen-
daire; ce poisson, notamment, vous savez bien, mon cher
KéL'is, le machin au bleu était si culinaire que je me suis
' ru, le mangeant, à ma table de famille.
Ail I ce ne sont pas les dreyfusards, les vidangeurs syn-
ilioataires ni l'anarchiste Pressensé qui offrent cà leurs
amis de tels régals I
— Voilà qui est parlé, mon benoît collègue, approuva,
ruisselant de graisse, le Jésuite Dramont. Sur sa barbe,
le vin de cinuame coulait pèle-mèlo avec l'huile de roses,
ihiyant sous un flot de parfums les insectes coutumicrs.
— Entre nous, cependant, la chose manque de gailc.
Le maître du logis aurait dû préparer quelque assassi-
114 A TRAVE1S I.FS GUOriNS
nal un peu folâlic cl des négociants paisibles à égorger,
pour le dessert.
Mais l'oraison du sociologue s'éteignit dans un hour-
vari formidable. Parmi les coupes brisées et les sauces
épandues, quehiues antisémites à poigne maîtrisaient
Alphonse Hunibert, ceuniant, furieux, épilepticjue, |)0ur
ce que Barres venait de lui refuser cinquante centimes
qu'il cherchait à emprunter. Celui-ci, trè$ calme, four-
rait dans sa poche les cigares à trois francs et les mcguls
entames pour n'avoir pas à dépendre, le lendemain,
chez son marchand de tabac.
Soudain, un roulement de voiture se fit ouïr, puis une
voix de fournie chevrotant sur un air connu :
Arrête, cocher
J'ai mes trois cheveux pris dans la portière
Arrête. cocSer,
J'ai mes quatre dents sous le marchepieil.
Et cîiacun reconnut là que c'était Marie-Anne de Kc-
rjubiin, la ven,:.'ereise de l'Aimée, la pucelle cocardière
aux farouches boniments. Elle entra, comme Alcibiade au
banquet d'Agathon, et, négligeant, cette fois, de baiser
ses coiii|)agnes à la bouche, fut poser sa couronne sur
DN SOUPEn CHEZ SIMON 115
le front de Déroulède qui, malgré l'héroisme qu'on lui
sait, bondit épouvanté. Des membres de la Ligue pré-
servèrent sa retraite et Marie-Anne, un peu confuse,
tendit ses violettes à Drumont qui, du moins, pour la lai-
deur, commémorait Socrate.
— Tout ça n'est pas chouette pour deux ciguës, réitéra
Peau-de-Requin,- en vidant son petit verre de coca Ma-
rinoni. Ces gens-là sont trop poires. Ils font pallas et
dix de gueule ; c'est marrant quand on est, comme eux
et moi, fils de putain, putain soi-même, forçat ou ma-
quereau. D'ailleurs, la viande kasher me donne envie
d'aller au refile.
Ab ! nous aurions besoin d'un beau jeune honinic
pour en faire notre dieu et « l'aimer comme papa. »
Ainsi chantais-je à Saint-Lazare ! Mais le truc du
Nazaréen — un joli mec cependant — choit dans la
mélasse. 11 ne l'ait même plus rouspéter les flicks.
J'ai vu, aux Quat'-z-Arts et ailleurs, le pante Jehan
Rictus, un loupiot à l'œil jamboonique. Il affîure dos
pépètes en faisant , Jésus- Christ avec les interjections de
Bruant et les mots de Richcpin. Il la relève en tom-
bant les vieilles Madeleines; on le loue comme un
116 A rRAVEris LES GROllNS
fiacre, chez les passionnées en retraite. Il fait la monte
pour un laranlqué et console, à juste prix, les ventrus
quinquagéonires, tant la profession de Jésus, à présent,
est déchardc. Vrai, c'est un bon Dieu qui n'est pas
fiérot.
— Vive l'armée ! ap|)uya Déroulcde.
— A bas les Juifs! opina Drumont.
— Crevons Reinach ! dit un souscripteur de la Liste.
— Vous n'aurez pas r.\lsace et la Lorraine, proféra
Millevoye.
Pendant ce temps, Humbert, ayant trouvé préteur, li-
bellait un effet à quatre-vingt-dix jours pour l'Ethiopien
de servie?. Dans la pénombre discrète, Lucie de Bolh-
saide susurrait à Madame de Capharnaiim ces exclama-
lions melliflues que l'oreille ne perçoit pas.
Alors une draperie s'écarta, révélant un paysage de
nuit crépusculaire, de bois d'oliviers et de lauriers en
fleurs. Dans une buée lumineuse, le Galiléon se montra,
tenant son cœur rougcâtre ainsi qu'un massepain. 11
porta sur les coDrives une dextre de lumière, et, joyeux
de leur union, les bénit avec douceur.
— Chrétiens, mes serviteurs et mon lignage, leur
UN SOUPER CHEZ SIMON 117
dit-il, j'ai fait pour vous des œuvres sans secondes. Je
vous ai permis de garder vos membranes et de vous
emplir de charcuterie. Vous avez brûlé le Sérapéura
de Memphis. Vous avez émiellé, dans les fours à chaux,
les dieux tulélaircs d'Athènes. Vos moines ont, sous
l'orteil de leurs pieds sales, écrasé la Raison. Vous
avez cuit Savonarole et tourmenté Galilée. Vous avez
léché le crottin de Bonaparte, larronné la Révolution
française, restauré les jésuites et conquis M. Briincliére
à vos desseins. Je suis content de vous ! Après deux
mille ans, je veux encore vous bénir et vous récom-
penser. J'abolis, en votre faveur, les derniers scrupules
qui prohibaient le larcin, le meurtre ou l'imposture.
Vous ayant donné l'Affaire, je maintiens d'autres pré-
sents : mon nègre Cassagnac, la veuve du Faussaire,
Jules Guérin l'assommeur et Max Régis l'cstafier. Pour
une longue suite d'ans, je vous concède Barrés, Drumont
et Flamidien. »
A ces mots, la foule, reconnaissant combien il était dieu,
se rua aux genoux du Visiteur. Plus rapide que l'onagre,
Marie-Anne de Kéroubim inonda ses pieds d'Eau do
Cologne et, d'un geste fanatique, les frotta de ses cheveux.
lis A TRAVERS LES GROLINS
— Merci bien, dit Jésus en l'écartant, mais ils sont
par trop rares. Je n'aime point l'humidité, craii-'nant les
rhumes de cerveau. Et, d'un geste amical, il offrit ses
orteils divins à la séduisante Capharnaiim qui les torcha,
non sans élégance, dans le dernier numéro de la Lib>e
Parole.
LES MAGES AU BERCEAU
(C0NT2 POUR LE JOUR DES ROIS)
A mon cher maitre, Jacques de Boisjolin.
kt-^N ce tenip;-!;! Jésus coiiliiiuait h naitre depuis
dix- neuf cents aimées. Sur le chcmiQ de scn
I lab !c, (1(-'S andouilles par monceaux el dos tripes en cliar-
iiau'e, cl d;s lainpirns versicolores mani-'cslaient la dévo-
li'ii cillioliiiue. Par un miracle inouï, portenleux et spec-
taculaire, une allégresse frénétique s'emparait du monde
ci.ilisé, ave; la ligueur d'une échéance et l'ébriété d'un
carnaval. C'était plus drôle que Gauthier- Villars faisant
des calembours sur Beethoven, plus hilarant que Gyp,
reprochaut à Israël d'avoir le nez torlu.
Par les chemins durcis de glace et les bois aux pendentifs
150 A TRAVF.n'^ LES GIIOTINS
de givre, sous les sapins à la baibe de frimas, les Gentils
pérégriiiaieiil vers Bethléem, car chacun sait qu'en Ju-
dée, on ne voit, en décembre, ni glace, ni frimas.
L'étable où reposait l'Enfant était cossue, majestueuse
et balayée. Un bondieusard de la rue Saint-Sulpice en
avait fomenté l'architecture et, pour la garnir de foin
bien chaud, M. Coppée avait jeûné longtemps. Des orne-
ments d'un goût saumàtre, où le genre parfumeur et le
style chemisier s'épanouissaient à l'aise, accommodaient
en pralines le crollin des animaux, posaient sur le nou-
veau-né d'atroces baldaquins. Joseph de Rochefort-Lu-
f ay, en robe canari, tenait la porte ouverte, accueillait
d'un bjn sourire les niichetons de son auguste Épouse.
Personne d'ailleurs n'en eût osé médire, car, d'après une
ordonnance chère aux Pharisiens, offenser en paroles un
ménage modèle, ainsi que ses beaux-frères, coûte an dé-
linquant trois milles sliikles d'or.
Ainsi, les visiteurs éprouvaient, en ce lieu, des sensa-
ti.)us charmantes. A condition qu'ils apportassent quolipie
chose, les plus bêtes, les plus sales et les plus vils accro-
chaient un sourire de la jeune Mère avec l'elTusive étreinte
du Charpentier. Derrièro lui, broutant l'aviine on l'épean
LES MAGES AD BERCEAU iH
tre, le bœuf et l'âne rivalisaient de dislinctioii. En effet,
pour éviter les cacades inhérentes à cm quadrupèdes,
l'on avait substitué, au ruminant, M. Mézières, au soli-
pède, Jean Rameau. Député juif, larbin antisémite de
l'Elat-Major, Mézières somnolait à plat ventre, mâchon-
nant de confuses onomatopées. Son mufle, par une com-
binaison gracieuse, rappelait à la fois le P. Dulac au
museau de fouine, le P. Didon à la tèle de veau. Pour
Jean Labegthe, il hennissait, renâclait, pétaradait, con-
naissant que la Prose de l'Ane fut spécialement harmo-
nisée pour lui.
Ce Rameau peu ordinaire,
Clopinant tout de guingois.
Réconforte le Gaulois,
De sa vigueur asinaire.
Eh! sire Rmneau, chantez,
Car belles louches avez.
Aurez de la paille assez
Et des orges a iilanté. Hi lian !
Les pasteurs du voisinage, accourus en foulc,contribuaient
par maintes viandes hétéroclitesau réveillon de Bethléem:
grives, dindes aux marrons, poitrines de vieilles dames,
m A TRAVEBS LES GR0UIN3
plus 3 francs 73 que la Bonne Souffrance ?alut, jusqu'à
présent, à son éditeur. Les uns couverts de peau de bête,
comme Jean le Baptiste, d'aucuns portant limousine tri-
colore, vociféraient en chœur, sans nul souci du ton
ou de la mesure, un Noël plein 'd'inîrénuité. Et c'était
Joris-Karl Hajsmans, remarquable par ses cathédrales
en bouchon, et le jeune Thiébaul luisant de firas-fondu ;
Paul Bourget, habile à couper les chats en quatre et
Brunetièro éleveur de sangsues doctrinaires ; Sorel qui
n'a rien de commun avec Agnès du même nom que son
béguin pour la maison de France, et Thnreau-Dan?in,
sans rival pour les cataplasmes historiques et le style
invertébré ; Lavedan, cavalcadour es bidets ; Jean Lor-
sain, pasteur d'étalons, peu goûté dans les vélodromes (à
cause qu'il n'encourage que les cyclistes à long dévelop-
pement). Barrés, vierge comme Abélard, offrait quelques
ureus dans le cabas qui servait, jadis, à madame sa mère
pour accomplir son marché, cependant qu'un rég nient de
vieilles ducaillcs : les Broglic, les Audiiïret Pasquier et
autres seigneurs sans orthographe décoraient, à la façon
de magots, les coins sombres du local.
Soudain, une musique retentit, luintuine, d'abord, puis
LES MAGES AD BKRCEAO 123
furieuse, immédiate et déchaînée : cymbales, tioiiipeltes.
lifres suraigas. Des coureurs frottés d'huile, des eunu-
ques en robe verte, des cornacs aux manteaux d'hyai'in-
the cramoisie, des soldats aux chevehires empennées s'a-
uilaient secouant raille flambeaux autour des palanquios
et des bêtes de somme. Des éléphants imbriques de ver-
roteries, de plaques métalliques et de housses diaprées ;
des onagres au pelage de tigre avançaient parmi la l'oule.
On eût dit, çà et là, de pesants navires sur une mer où le
col sinueux des girafes et la bosse des dromadaires fai-
saient, par place, ondoyer quelques remous. Un héraut à
dalmatique d'or, chargé de bracelets et de pendants d'o-
reilles, vociféra, dans un buccin de cuivre, son altière fan-
fare, apprenant aux quatre vents du ciel que les Rois
Mages en personne daignaient perarabuler à travers la
nuit. Dans le ciel de velours noir éclaboussé de gemmes,
une étoile insolite brillait sur le cortège. Ses feux multiples
irradiaient, bleus comme le saphir, vijieux comme le rubi;,
troubles comme l'opale, aveuglants comme l'escarboucle,
limpides comme le diamant.
Bientôt les augustes cavaliers mirent pied à terre,
car la fantastique étoile, pareille à un serpenteau mal
lii A TRAVERS LK3 GSOIIXS
dirigé, abattait son vol de flamme sur le toit néo-pignouf
de la crèciie où Rameau ne cessait de liraire des can-
tiques.
Les Mages entrèrent, annoncés par Joseph et conduits
par Arthur, chambellan de toutes les Majestés, profès en
belles manières, pilote ancien de Blanche d'Antigny et
Palinure habituel sur les trirèmes du désert. Et les rois
saluèrent l'Enfant Dieu qu'ils reconnurent de suite pour
l'avoir fréquenté dans leurs églises, dans leurs pays res-
pectifs. Melchior, roi nègre, de la nuance Jean Aicard, le
prit ingénument pour Horus sur les genoux d'Isis: Bal-
thazar, le jaune touranien, crut revoir Ninus bercé par
la grande Sémiramis, taudis que Gaspard, curieu.t boud-
dhiste, saluait à la fois, dans cet enfant, les parthénoge-
nèses de Krischna et de Çakia-Mouni.
Seigneur, dit Melchior, en déposant un couffin de résine
aux pieds du Nouveau-Né, je t'apporte l'encens agréable
aux narines des dieux. L'idole Mania-Jumbo, tous les fé-
tiches, tous les grisgris se résument en toi. Nous faisons
cuire dans l'eau bouillante nos prisonniers de guerre,
nous offrons le sang des beaux jeunes hommes aux larves
des aïeux. Tu svncretiscs l'ignominie dévote ;. nos cultes
LES MAGES AD BERCEAU 125
ferocqs ou idiots, tu les perpétueras dans le crime et la
stupidité. Salut, dernier Christ de la bêtise humaine !
.Maître des cœurs tremblants et des fronts aplatis. Dieu
lies bùrhers, du Sacré-Cœur et des Pères de Lourdes, je
vénère en toi maints siècles de cannibalisme ou d'abrutis-
senient. Je t'asservirai mes peuples, je t'approvisionnerai
d'inquisiteurs. Voici Drumont le cambrioleur et le boucher
Cassagnac, mulâtre baptisé. Salut à toi, Jésus!
— Pour voler cette pécune, dit Balthazar, en Taisant
rouler sur les dalles pièces et lingots d'or, mes Tatars ont
dévasté la plaine, incendié les maisons et saccagé les for-
teresses. Au galop de nos chevaux, la terre frcniissait, les
astres tombaient des cieux. Mes lils travailleront pour toi,
depuis Attila, maître des Huus, jusqu'à Napoléon, le ban-
dit corse, voleur de consciences et cambrioleur de cites.
La souillure militaire dégradera, pour te les soumettre,
les races libres et Gères, empoisonnera de chancres irré-
ductibles les esprits et les corps. Mes casernes protégeront
les cathédrales, et tes couvents, et tes gymnases. Le sabre
de mus pandours favorisera les déprédations de tes minis-
tres. D'un commun accord, nous installerons dans le monde
la bassesse, la couardise et laterreur; nous jetteronsla nuit
12:; A TRAVERS LES GROCINS
sur riiuniaÏDe ponsée ; nous truciderons les innocenls. Tu
seras le lils ilu Sabaolli. mon inspirateur et mon esclave.
Salul à lui, Dieu profitable, Dieu des faussaires et des
armées !
— Moi, Seigneur, dit Gaspard, découvrant à demi uu
vase d'or précieusement chargé de baroques ciselures, je
n'offre pas grand'chose à Votre Majesté. C'est la myrrhe
des funérailles, gardée en une coupe d'or, comme ces lar-
mes brillantes que la fille incestueuse épandit sur Gin-
gras. Je VI. u3 ai rencontré dans les fables de mon pays,
lorsque, au lieu du nom que, plus lard, égayera le vaude-
ville, je portais celui de Galha-Spaça, le pénétrant, et
qu'un rayon d'Indra éclairait mon génie. Vous clcs venu
tard après l'Inde fabuleuse et la Perse héroïque et les
amphyctionies d'Hellas. La beauté des Dieui s'est retirée
du monde : mais, pour iaoculer aui âges postérieurs ce
que leurs prêtres ont d'avarice et d'inhumaine turpitude,
nul ne remportera sur votre règne.
.Mesdesi-endants, épris de connaître el de penser, auront,
en VOUS, leur plus cruel ennemi. Par le poison, par li- bâ-
cher. ])ar le mensonge, vous étoufferez de votre mieux
lintelligence humaine et, sacrilèges thuriféraires, les be-
LES MAGES AU B::nCEAU l'i?
(leaux encenseront voire ciel de nos livres consumés. Dieu
des lâches, des ignorants el des malades. Agneau canni-
bale^des autels futurs, en attendant que la mjrrlie em-
baume ton cadavre, salut à toi, Jésus I
Ayant ainsi conféré, les Mages quittèrent l'clable au
grand contentement de Jean Rameau qui, sur-le champ
reprit une cantate de formidable longueur. Marie Anne de
Keroubim, ayant brisé sa dent màchelière contre la fève
d'un gâteau, l'interrompait de cris aigus.
Mais au dehors les esclaves se lamentaient et, pour as-
sembler les équipages, leurs maîtres les appelaient en
vain. L'étoile aux feux changeants avait disparu du ciel.
Tout en haut, dans le pâle azur, brillait seul un feu rose
que l'aubeéteignait déjà.
— Celte flamme que tu vois, dit Gàtha-Spaça au nègre
tremblant, c'est léloile permanente de la destinée hu-
maine, étoile, qui survivra aux flambeaux mensongers des
rites évanouis. Astre de la volupté, lorsque tombe le soir,
elle est, à l'aurore, annonciatrice du travail. Le rossi-
gUijl la salue d'une plainte amoureuse, dans les crépus-
cules embaumés; l'alouette, au matin, lui darde sa chan-
son. Elle guide, sur les Ilots, l'audace du naulonnier.
1Î8 A TRAVERS LES GROIINS
Symbole de la raisnn éternelle et du labeur fécond et de
l'Amour, seul Rédempteur.
A ces mots, le Prince jaune et le Monarque nèjrre se
séparèreut du Majie iudien avec horreur, chacuu s eu
allant, par des roules différentes, vaquer à son métier
de potentat.
ï
ENTRE SOUTANES
'est à l'institut Notre-Dame-cIe-la-Trpillo, dnns la
salle haute où les frères des écoles chrétiennes
;?Qi inculquent aux éphèbes le goût de la prose fran-
çaise et les lois de l'inversion. Un lit sordide occupe le mi-
lieude la pièce avec maints fauteuils et chaises éculés. Des
instruments de pédaoogic: férules, martinets, sont appen-
dusaux murs entre des crucifix oi'i les plâtriers de la rue
Saint-Sulpice ont incarné l'idéal de laideur inhérent aux
personnes pieuses. Un attire Jésus-Christ, posé sur le poêle
à rôtir les fesses des gamines, s'arrache un cœur incandes-
cent d'une poitrine de nougat. Dans un coin, plusieurs
malles de différentes pointures attendent les cadavres en
9
130 A TRAVEnS LES Gitontxs
disponibilitc. Cote à côte, sur le pied du lit, M. Fl.-iiniilicn,
rédacteur en chef à la Heviie des Deiix-Moiule?, et le
F. Bninelière, ignoranlin, devisent familièrement. Des
toiles d'araignées grelottent en haut des plinthes, cotnme
dans le Frisson de Mallarme.
Flamidien, — Convenez-en, monsieur llruiielière. vous
avez manqué d'estomac. Vous avez mal à propos cédé à la
crainte des francs-marons, des libres-jionseurs.dps alliées,
des impies, des socialistes et autres juifs. Il fallait faire
celle conférence que le bruit suscité par la morl de mou
petit amant arrêta de manière inopjorlune. Il fallail mon-
trer aux âmes irrélijiieuses raccord de la Science et des
bonnes mœurs qui font l'ornement de la très sainte
Eglise catholique en général et de l'Instilul du birnlicu-
reux La Salle en particulier. Mais voilà: malgré vos
bonnes intentions, malgré votre Iiaine de toute liberté, de
toute indépendance, il vous manque un peu de celle
ni.Ue vigueur si largement dévolue à notre inslilution.
En un mot comme en A\\, vous avez eu la trouille.
Votre organi.^me se ressent de l'opium élaboré par vous
en d'innombrables articles.
L'Iiab'lude fâcheuse de prendre des bain< a rit iéde
ENTRE SOUTANES ISl
votre personne le meilleur de sa verlu. Vous n'avez pas,
si je l'ose dire, de ceinture aux lianes, tandis que la plu-
part de nos frères, comme Jean Lorrain, en portent vo-
lontiers deux paires plutôt qu'une. Funeste follet des ac-
cointances mondaines et de la familiarité dos princesses!
Dans nos saintes demeures où ne respire que l'amour de
Dieu, la charité envers ses créatures ; cù la savate de
humilité, le moutardier de pénitence ouvrent l'intellect
des jeunes enfants aux bienheureuses amours, de pareils
accidents ne se produisent Jamais.
Nous avons les ongles noirs, l'haleine fétide et le pied
caséeux. Nous nous distinguons du commun des hommes
par l'énorniité de nos épaules, sans compter le reste. Mais
douéSj comme l'on nous voit, de ces fortes qualités, nous
dédaignons, en même temps, les bienséances et l'hydrothé-
rapie. Nous exhibons avec sérénité, devant la foule, tous
les dons que le ciel, dans son infinie miséricorde, a bien
voulu nous impartir.
Vous auriez dû faire cette confére.ice. Vous avez déjà
rendu à notre Sainte .Mère Eglise d'inappréciables ser-
vices. Il n'a pas tenu à nous que l'esprit d'investigation
démuselé par les Encyclopcdisles et cet infâme Voltaire
132 A TRAVERS LES C-ROUINil
ne fùl à jamais délroné. Sous voire direction — ah ! cim-
bieii orthodoxe ! la Science ne tarderait pas à redevenir
cette prêtresse au\ voile; floltauls irnavinée par 11. de
Maistie. Car vous abominez presque autant que l'auteur
du Pape, l'ignoble Science moderne qui travaille et se
conforme au plan du monde.
Mais, quels que soient v.js mérites passés, il convenait
vous affirmer itérativemenl à l'houre du péril, de donner
ce nouveau gafie de vos sentiments à la Chaire de Pierre
et au Clergé National.
Drunetière. — Parmi toutes les vanités du mondi,-. il
n'est rien de si désoblij.'eant que payer de sa personne et
j'ai appris de Vascagat que ces bîns Pères de la Compa-
gnie marchent environnés de tant d'astuce que ceux qui
les accompagnent sont obligés de tirer, à leur place, les
marrons du feu, de peur que, s'échandant les doigts, ils
no rendent enfin un si déplorable hommage à la condition
humaine. Elevé comme je fus dans leurs disciplines, il ne
conviendrait pas que je m'écartasse du principal de cet
enseignement, ni que j'exposasse, en ma personne, un de
leurs plus fermes défenseurs.
Je suis à peu près le seul intelleotuel qui leur demeure
ENTHE S0DTANE3 133
attaché ; car Déroulède, saisi par la gloire des armes,
Thiébaud par l'éloquence tribunilienne et Coppée, le « par-
nassien de première classe, » par la manutention des
drogues nationales, défèrent à l'éclat trompeur du siècle, à
l'orgueil de voir leurs noms cités dans les papiers publics.
Ce sont de plats gredins. Mais qu'importe la canaillerie
sans la grâce du Très-Haut? Fussiez-vous disert comme
Millevoye, brave comme Rochefort, probe comme Judet,
noble comme Possien, joli comme Vervoort, cocu comme
Barrés, vous n'êtes rien sans la grâce : sine gratia nihil.
Et maintenant, quittons un peu la langue de Bossuet.
Pensez-vous que, pour vos beaux yeux, j'aille exposer
ma personne au siftlet des viles multitudes ? Je n'ai pas
besoin du cachet dérisoire que me promettent les habi-
tants de Lille, ayant trouvé, dans la réaction, mainte
aubaine profitable. Et puis, voyez-vous, mon très cher
frère, j'estime, sub rosa, que vous allâtes un peu loin.
Non que je blâme en aucune sorte le viol des petits enfants
qui, d'une manière indiscutable et véhémente, confirme les
privilèges de l'Eglise. Mais pousser jusqu'à l'homicide,
voilà qui me semble exagéré. A moins que vous n'ayez le
sadisme pour excuse. De tout temps, les communautés
I3J- A TUAVER3 LE< GROOINS
reli:^'ii;u<ps eurent le secret de lireuvages stupiTiarils qui
troublent la mcmoire et la raison, juste assez pour |i(iii-
voir nier, si la vii-llmc a le inaurais goût de se plaindre.
Le père Girard en usait avecla Cadière. A son exemple,
tous les confesseurs préviennent ainsi la mauvaise liu-
meur des virginités récalcitrantes.
Flamidien. — Mais, par la Saint-SangreboisI imaginez-
vous, mon cher monsieur, que je l'ai chouriDc, pour mon
plaisir, ce cher petit Foveau que j'aimais tant ! Ah ! si
vous aviez vu comme il était mignon, premier que les
libres-penseurs m'eussent contraint de lui scier la
gorge. Que de pures délices nous goûtâmes ensemble et
comme il vibrait s jus mes caresses, le cher violon. Mais
hipuir des anarchistes m'a fait égorgiller bien doucetlo-
ment ce bardacbe infortuné, au giand contentement
de sa famille qui n'eut rien de si pressé que de rendre
sa dépiiiille à mes confrères de la paroisse. Preuve iii-
conlestab'e que la ProviJe:ice est avec nous. Vous seul,
monsieur, nous avez fait défaut.
Drunetière. — Décidément, très cher frère, vous
manquez un p !U d'idées générale;. Ce sont les présidenls
de la Ligue si éiniuemmo.it fraiiraise (où les noms de
ENTP.E 30UrANE3 iS'i
Jlassimilaiio Rugis et de l'antisémite Trois-Luiics et du '^ù-
néial Vers les Tilleuls, unissent les patronymes autochto-
nes de Zurliudeu et de Tiémund) qui m'enjoignirent cette
L-acade.
Nous avons bien autre chose à faire fjue de sauver un
loupable, que de nicllre à mal le premier honnête homme
viMiu.Vos frères suffisent amplement à cette besogne. Quant
à nous, entrepreneurs de faux, de vols et d'incendies, nous
incarcérons les braves gens par fournées. Un innocent
nius incommode : aussitôt nous l'expédions à Cayennc,
[iriaut M. Rochefort de le vilupérer chaque malin. La
France a commis, hier, le crime de nommer Présidei;t
de la République un républicain. Mes bons amis : Jules
Cluérin, les souteneurs de la Villetle, les escarpes de la
rue Saint-Dominique et les bedeaux de l'archevêché
vont faire payer cher sa magistrature à celui qu'ils nom-
ment déjà Panama 1". Toute une glorieuse campagne
d'insurrection, de mensonges, de calomnies et delàchelés
nous ouvre sa carrière. La rue abominable, féroce et pu-
sillanime hurle par la bouche de tousses voyous. Nous
devons, cher frère, nous réserver pour la Croisade sain'.e
des intérêts matériels que défendent les Deux Glaives,
136 A TRAVERS LES GROEINS
pour la prise (rarmes, pour les holocauslcs que le Sabre
el lo Goupillon furaenlenl au nom de la Propriété.
. Flamidien. — J'accède à vos raisous el m'incliiie de-
vaiil celle logique. Amen! Quelles que soient les révo-
lutions, les tourmentes populaires, l'Eglise sauvera son
egcu. Le frère Flamidien aura son pain cuit. Je trou-
verai toujours quelques mères cLréliennes pour mij
confier l'cducatio:! de leurs enfants. A présent, un senl
mol et je me lais. Entre nous, le plus escarpe des deux
n'est pas relui qu'on pense. J'aime encore mieux vivre
da:ss la peau de Flamidien que dans la vôtre, Mon-
sieur Brunelicre, ii:sl'gateur de canailleries vertueuse.-;,
d'assassinats patriotiques et d'abrutissement national.
•20 févrie:- ISOO.
NOTES
ET ADDITIONS
NOTES
ET ADDITIONS
Page 17 : Diett donne
Quelques dents à Barrés ....
Le joli garron que la Boulange enfourna dans le Natio-
nalisme ; le dandie copain de Millevoye et porte-cotoji de
Déroulède; le Sganarelle de la rue Caroline, ami de
Wyzéva et cunilingue de toute personne en vue ; le qua-
dragénaire aux chicots mal odorant?, Barrés enfin, puis-
qu'il faull'appeler par son nom, s'est avisé récemment
d'une manœuvre près de quoi la déglutition des étoupes
enflammées n'est que petite bière etfruitdela Saint- Jean.
Le monde regorge d'éclopos. Les uns borgnes, les
autres bancals. D'autres qui, rétréi;is, comme Pappahy-
drargiropoulos, consument leurs heures lentes au fond de
t Kl A TRAVERS LES GROCINS
les lavacres, marquis de Rambuteau ! Quand il veut ouïr,
— Maurras, tel qu'un mal blanc, présente sa narine d'où
suiiile maint fa^'uciias : car, à l'imitation des fleurs, il
expire d'étranges aromates : benjoin, civelle et petit
musc.
Barrés, le secoué de B^-rénice, fait voir une autre spéci-
Qcité. Cela est plus ostensif, plus gênant aussi que les
bobos même répugnants. C'est le chancre hunlérien, la
pelade irrémissible d'un esprit voué par définition à la
niaiserie autant qu'à la bassesse- Barres est incommodé
par la fièvre électorale, intoxiqué de manie politique. Il
cliahute, devant les urnes une pastourelle de Saiiit-'ïuy,
débistroquanlson échine enporte-nianteau et faisant trêve,
pour un jour, à l'incomparable ladrerie dont le sort le bla-
sonna. Pour s'asseoir entre Drumont et Déroolède, il hu-
merait des flots de boue ; on le verrait lamper — tel un
chocolat magnanime — les plus nidoreuses déjections. Na-
turellement, son âme de chiffonnier vole aux tas d'ordures
et telle est son aristocratie native qu'il y trouve fréquem-
ment un rogalo:i, pour ses dents à pivots.
L'ne réclame d'éditeur nous a dévoilé sa plus récente
vilenie. C'est sur la tombe de Guaita, close depuis près
iNOTES 111
d'une année, qu'il vient d'exécuter la parade en question.
Compagnons d'études au lycée de Nancy, Barrés et le
pauvre Stanislas avaient entre eux un abîme infrancliis-
sable à la province. Envieux déjà, Barrés ne voyait point
sans jaunisse l'héritier du marquis de Guaita frayer dans
un monde où lui, marjolet sorti d'une maison infime en
bourgeoisie, n'était admis que par dédaigneuse faveur.
Guaita, généreux et débonnaire, comblait gracieusement
le fossé. Mais son haineux condisciple n'en verdissait pas
moins de rage contenue. Il le lui fît bleu voir aux heures
où Guaita, confiant dans les souvenirs de jeunesse, vou-
lut obtenir quelques bous offices de la plus banale caté-
gorie : communication aux journaux, assistance dans les
duels. Barrés refusait net, de cet air godiche et emprunté
qui le caractérise.
A présent,il bal la caisse et prend orgueil de l'occultiste
mort. Ceux qui aimèrent Guaita ont lieu de s'étonner. Bar-
vcs fréquentait peu chez ce parfait gentleman. Son man-
que de tenue aurait mis quelque froid. Devant les amies
de Guaita, le délicieux autour d'Un homme libre se vau-
trait dans les fauteuils et posait sur la cheminée ses pieds
interminables, au point qu'on oublia toujours de le con-
Mi. A TRAVERS I,E3 GROIINS
vier aux symposium cabalistiques de I avenue Trudaiue.
Mais, voilà que, neuf mois (le temps de perpétrer un
gosse), après la fin douloureuse de son compagnon d'en-
fance, il lui consacre une émotion rctrospeclive, !e filan-
dreuxhonneur d"uiic chronique cloupeuse et bomlieusarilc.
Etranj/c, n'est-ce pas ? comme dit Vascagat, suzerain des
vieilles IxHos. Etrani-'e ! pas le moins du monde.
Ayant donné tous les gages de serviliime que peut
fournir un piedjdalde sa sorte ; ayant emb..ité le pas au
« général de cirque » et ramassé le crottin des vivclar-
mées, Barrés escompte déjà, pour sa future veste, le bon
vouloir de l'aristocratie nancéenne. A ces causes, il lla-
gorneles Guaita. Il retrouve les phrases dont, la veille
d'Une journée parlementaire, il pourlécha Sarcey,
« esprit net et judicieux ».
Il orne ces obsèques rétrospectives de courbettes apla-
ties, et, sur le tombeau même de celui que, par convenance
ou pudeur, il devrait oublier, prostitue jusqu'au souvenir
à ses ambitions de cuistre, à ses ambitions de misérable
cancre, degredin politique et de grimaud letlré.
iI3
Pa^'ft 32 : Voilà /loue quels vengeurs 1,'arment pour la
querelle !
— Ce n"est pas sans motif que l'on se fait syndicataire,
palabi-a mon ami l'esthète Purazur, niài-honiiant son neu-
vième cigare à la porte du café.
Autour de nous Paris s'abêtissait devant la bière de
mars et le bouillon d'onze heures, jetant de la fumée en
proférant des sentences négligeables. Comme j'acquiesçais
d'un air à la fois entendu et somnolent, il érigea, dans la
buée aromatique, un poing démonstrateur. — C'est, dit-il,
une question d'heure et de tempérament. Au lendemain
de la dégradation, vinrent à nous les premiers dreyfu-
sards sur une poussée d'égo-altruisrae propre à leur
faire honneur. Quoi I n'élail-ce pas assez d'avoir infligé
à l'innocent une telle misère ? Fallait-il qu'un Talmeyr
déchargeât sur lui son catarrhe et qu'.Arthur Meyer lui
lançât au visage le pied malpropre de ses bidets? Plus
d'une femme en repartit, émue, l'entendant crier : Vive
la France! » et plusieurs, hostiles au début, ue savaient
que penser en revenant chez soi.
D'aucuns, mus par l'honui tcté du vieillard Scheurer,
iU
A TRAVERS LES GROUI.NS
se lireiil une lOiiviclion indéracinable. Huguenots et doc-
trinaires, ils suivent les comportements de ces marlvrs
qu'Agrippa mil en vers.
Puis ce furent les savants qui cherchent à comprendre.
L'Ecole des Chartes, IWcadémie des Sciences, les labora-
toires de chimie nous valurent ces intellectuels disciplinés
aux méthodes rigoureuses. Ils ont cherché et trouvé, en
cherchant, la vérité. Ils démasquèrent Eslerhazy le vieux
galantin et le faussaire, cosméliqué de noir depuis l'âme
ju.squ'au toupet.
Survint Zola, survint la généreuse diatribe <J'acci(s«".
Devant ces mots de flammes, les artistes, les rêveurs se
sont dressés, les uns pour la beauté de l'œuvre, d'autres
pour son audace, tous, enivrés du souffle véhément qui
gonfle ces pages immortelles. >
J'en connais qui se rallièrent par hygiène. Ceux-là
craignent l'odijur du ruissean et la vase du Jour. II.? trou-
vent Possien trop ignoble, Déroulède imbécile, Drumonl
anthropophage et torcheculatif notre vieil « Oison d'or ».
Le Beau-frère les incommode, .Millevovc les écœure. Ils
redoutent ces boueux dont la plume éponssette l'égout
et récure le charnier. Toutes les crapules hors d'âge
NOTES 115
prennent leurs invalides en ces papiers qu'ils font, ilu
cannibale Guérin au père Vascagat. Ainsi est-on dreyfu-
sard par élégance, loin des clairières maudites où les
vieilles patriotes, Gyp, Bovet ou Lucie Faure inarmiton-
nent la cuisine du drapeau.
Votre camarade Tybalt prend ses raisons de la Bi-
ble italique dont il fait — c'est Ledrain qui l'atteste —
son livre de chevel:Exorf,um est in teaebris lumen redis,
dit-il avec cette émotion véhémente que vous lui cnn-
naissez.
Il faut, en outre, recenser les gens qui, mystifiés
d'abord, se targuaient de clairvoyance. La déposition
des experts les éclaira. La tenue des officiers dégoi.ta
les personnes bien apprises. Tels ont frémi ii la pensée
de Cavaignac dictateur. Le suicide obligatoire d'Henry
ouvrit les yeux du plus grand nombre. L'ignominie
antisémite fit le reste. Je ne parle point du Syndicat, ne
l'ayant jamais rencontré dans mes caravanes, de quoi
vous me voyez tout à fait marri.
Son regard s'éplora vers le hanap quasi élanchc. Il
vida la coupe de houblon, rêva, puis brusquement :
— Et vous, dit-il, comment l'êtes-vous devenu ? — Moi I
10
1 10 A TRAVERS LES CROCISS
C'est bien simple. Je le suis da moment où je connus que
Darrès avait pris da service dans le camp opposé. •
Pape 42 : VillaneUe.
Si j'avais l'honneur de fréquenter avec M. Vervoort, je
m'affublerais sur-le-champ d'un scaphandre. Plongeant,
comme .\ristée, dans les hnmides royaumes, j'aborderais
le candidat ictiiyoraorphe des Grandes-Carrières et lui
dirais ceci :
— Vervoort, mon cher ami, vous fûtes heureux, jusqu'.i
présent, comme un poisson dans l'eau (c'est le terme pro-
pre). L-a Fortune, qui aime les audacieux, accumula, sur
votre dos ciuleur d'espoir, les meilleurs de ses dons.
Fils d'un ^'ratie-papier «i la mairie du Sixième, vous
cnniiûles, dès le foyer, d'inappréciables avantages : une
famille sans préju}.'ès, une sœur laborieuse et dévouée à
son prand frère, tout ce qui crée, ici-bas, le b.inheur do-
mestique, et la riche.s.se. el l'éclat social. Votre rc^-le de
NOTES l'l7
vie fnt immuable, dès la première barbe. Il ne fallait,
pour l'inventer, la lecture deKant ni celle de Hegel. L'as-
cèse n'en impliquait pas le moindre effort ; le programme
en pourrait tenir dans un couplet seul d'Aristide Bruant :
Ma sœur est avec Eloi
Dont la sœur est avec moi.
Chaqite soir, je la refile,
A Delleville;
Comm'ça f gagne 2)as mal d'braise :
Mon bcau-frèrc en gagne autant
Qui refile ma sœur Thérèse,
A Ménilmontant.
D.î plus, comme le sort vous a traité en enfant chéri,
ce n'est pas dans les quartiers marécageux du Père-La-
chaise que vous « reliiez » mais dans le Jour, trottoir
aussi bien famé que le Casino de Paris, avec, pour beau-
frère, non pas un Eloi quelconque, mais bien le marquis
lui-même, Henri de Roclieforl-Luçay.
Moitié chantage, moitié escroquerie, vous passâtes con-
fortablement les dix années tumultueuses de la jeunesse,
buvant frais, mangeant du meilleur et délectant vos reins
148 A TRAVERS LES GHODINS
pour un juste salaire. Vous alleisnez à présent, s'il en
faut croire vos affiches, la Irenle-qualrième année, point
culminant Je la vie humaine ; vous avez, pour parler
comme une danseuse de mes amies,» l'aze don bon Diou « .
Eh bien, souffrez qu'on vous le die, vous manquez, dans
cet instant climatérique, de mesure et d'intuition. Est-ce
votre gloire pendant l'affaire Zola qui vous {rrise de la
sorte, les poignées de mains de l'Etat Major ou bien l'o-
deur exhalée par le dernier chicot de « Vllomme Libre » ?
Toujours est-il que vous déviez quelque peu de celte con-
duite miraculeuse qui fit de vous un estafier si magistral.
Quelle lareulnle vous a mordu que vous affrontiez ainsi
les pugilats électoraux et quittiez votre bain de beurre
pour les gravats de la terre ferme ? L'ovation que vous
ont faite, dimanche, les électeurs montmartrois aura, sans
doute, éclairé votre esprit et dessillé vos yeux.
Vous comprendrez combien dangereuse l'illusion qui
TOUS tient de ne distinguer pas les fonctions d'avec les
niles publiques, de se croire idoine aux unes parce que
l'on a séché le bas des autres. Donc, revenez A vos chères
études que ne déséquilibre aucune préoccupation d'intel-
lectualilé; car vous n'êtes pas de ceux qui perdent leur
NOTES 14'J
temps à Bi) reuth, dans les musées ou daus les bibliothè-
ques. Prés jr\ez avecsoiu Mademoiselle votre peau des
horions et d:3 amendes fluviatiles. Gardez que nulle ava-
rie n'entame un capital si précieux.
Vos affiche: tricolores donnent au pont Caulaincourt
un fau.T air de porcelaine, divertissent, depuis assez long-
temps, les macchabées du cimetière. Voici l'heure de
suspendre les frais et d'assumer derechef votre nuance
quidditive. L'azur seul, mon cher Vervoort, l'azur et l'ou-
tre-mer glacés d'un peu de rose avec beaucoup d'argent,
d'après la formule que donnent ceux de Dieppe, les plus
généralement estimés.
Page 44 : Villanelle.
M. Vervoort, candidat ichtyomorphe, en même temps
que journaliste pisciforme, nous procure aujourd'hui l'hu-
midité de sa fréquentation. L'époque est bien choisie,
car voici le beau temps et la saison des bains de mer. Il
sied d'avoir des amis partout.
loO A TRAVERS LB3 GR00IN3
L'on roanait combien, depuis Amphiou, les honinips
doirenl de secours aux hôtes écailleux et dévoués de l'an-
tique Océan. Je rêve, non sans quelque vanité. que, j-Tàre
à la présentation de maître Désiré Bourjîoinl, Vervonrt
m'exiraira, peut-être, d'un bain malencontreux, me ra-
mènera, cet été, vers la baie de Douarnenez ou la cote
il'Hendaye, entre le <iel d'azur et l'onde cérulée, à cali-
fourchon sur sa croupe de myosotis.
Le blacboulé des Grandes-Carrières — Vervoort qui lit
la sienne d'avoir une cadette bien en chair — monlic
peu de philosophie devant les rijiueurs du suffrage uni-
versel. Renonçant au mutisme spécifique, il confabule o;i
du moins invite à fabuler, en son lieu, maints huissiers de
Paris. Philippe Dubois, Le Pic, Ibels et moi-même, mes-
sieurs, sans nulle vanité, ceux que divertirent ses ébats ma-
ritimes, ceux qui lui donnèrent une place dans leurs vers,
leur prose ou leurs croquis, ont éprouvé le phénoraène.
Oui Vervoort a proféré des sons et Toilà un miracle liieii
iJoine à déprécier l'ànesse de Balaam.
El pour comble d'horreur les [lape]reaux parlèrent!
Nous l'avions ouï, déjh, pousser maintes bulles et don-
ner des nageoires devant l'autel de Domromy. Jwinne
NOTES 131
d'Arc raguiche ciiormémeiit. Entrepreneur, comme il est,
de travaux féminins, il souffre de voir si longtemps inem-
ployé ce capital historique.
Volontiers, il épouserait Jeanne et fouJerait, avec son
aide, une maison de rapport.
Hélas Iles gens de Clignancourt n'o;it pas compris ces
choses. Ils apportaient des cannes à pèche aux symposium
tricolores du bel André. Vervoort criait : « Vive Varméel «
les assistants répondaient en chœur : « // arriuel » tant
le respect réussit mal aux pieds du Sacré-Cœur. Le joli
gars fut interloqué. Il en ronchonne même encore, si
j'ose m'exprimer, n'ayant pas la haine adroite et scrofu-
leuse de son compère de Nancy. Barrés, dont le torse pa-
reil à un hec de gaz, l'estomac dyspeplique et la tète de
châtré ne font pas un Roméo, distille intérieurement sa
bile ; mais Wervoort, Greluchon irrésistible, le seul
homme qui, d'après un mot connu, doive le Jour à sa
sœur, n'a point celte fermeté d'âme, ni la suppuration in-
térieure, ni le fiel résorbé qui fait l'Intellectuel empereur
des envieux.
Il nous traJue devant cette vieille Thémis qu'il pren-
drait volontiers pour sous-maitresse. Espérons que cela
i52 A TRAVERS LES CR0LIN3
réussira! Grâce aux libéralités dn Syndicat, aux gaiioiis
que le Traître uous envoie hebdomadairement de son iie,
nous paierons volontiers les vingt sols qu'il réclame.
Les curés de Tarbes, moins discrets, sollicitaient niiilu
francs par grouin. Or, ils étaient quatre cents, tant il est
vrai que le plus marécageux des laïques l'emporte encore
sur le meilleur des clercs!
Page 61 : Et monsieur Deschanel à les senir est prompt.
On voudrait, pour la raison comme pourla pudeur, iiu'-
dire ici de M. Paul Deschanel: mais la chose ne se peut.
Il n'est, sur son compte, ni bien ni mal à exprimer. C'est
le néant sans phrase, le vide absolu. Il préside la
Chambre où nul de ses prédécesseurs n'aura incarr.é au
même degré la médiocrité des Assemblées délibérantes. Il
a tout ce «[u'il faut pour complaire à Judet, éblouir .Ar-
thur Meycr et délecter la rue Saint- Dominique. Imaginez
NOTES 153
uue tôle de cire à la moustache grotesquement troussée,
un gamin défraîchi qui muguette, caracole, bavarde et
politiquaille, un dadais folâtre, nonobstant la quarantaine
plus que sonnée, lequel, tout en folie, descend de sa cravate
blanche pour histrionner dans les « salons ». J'eus, il y a
quelque six ans, l'incomparable amusement de dîner à
ses côtés. Soit que M°" Gauthereau, plus surhumaine
(est-il possible?) qu'à l'accoutumée, eût, ce jour-!à,
multiplié sa verve, soit que, de janvier à décembre, il
caracole de même, le garçon déploya tous ses moyens.
Impossible d'être plus fade, plus griset et de compagnie
plus boutiquière. Le pédantisme hilare du Sorbonaard
avecje ne sais quoi du perruquier en belle humeur, tel se
fait voir le Deschanel quand il pommade.
On le tient pour « extrêmement distingué » dans les
milieux qui ne le sent point . c'est un daudie manufacturé
par sou tailleur.
L'écrivain, l'orateur sont de même envergure. Articlier
pour revues académiques, il a médiocrement approfondi
les éludes faciles qui lui permirent de devenir un sous-
Hauolaux. Comme Prévost-Paradol (qui, du moins, avait
une àme et de l'esprit), il publiera sans trêve, des Mé-
toi A TRAVER< LES GKOrlNS
langes d'abord, puis de nouveaux Mélan^'cs, dont un édi-
tear posthume fera, seul, paraître les derniers.
Fils d'un proscrit, M. Paul Deschanel vint au monde
(en 181)6, l'adolescent I) pour y tenir l'emploi de fils à son
père. Ce père, brave homme, dit-on, mais le plus inepte
qui soit, rabâcha toute sa vie d'effroyables sornettes. Les
collégiens lisent encore son Histoire rie l'amour dans t'an-
liquitè, heureux d'apprendre que la sodomie n'est point
Un apanage exclusif de Jean Lorrain et de Pierre Loti.
Paul Deschanel l'ut un des cent mille jeunes gens
qui, sous couleur d'études libérales, se destinent au pou-
voir. Tout d'abord il exerça la verve à ras du sol qu'il lient
de la nature, une faconde bête de calicot fashionable,
dans ce qu'ilconvient de nommer l'autopédagogie gou-
vernementale.
< Etre médiocre avec éclat > : le mot des Gnncourt sem-
ble la devise toute faite de cette catégorie d'ambitieux.
La plupart, sortis de maisons ultra-bourgeoises, apportent
dans le maniement des élégances l'air agréable de cet
émigré, vu par Chateaubriand, qui s'était fait raaitre
à danser chez les Iroquois. .M Deschanel a étudié la
rhétorique parlementaire. Il ne sait même que cela, car
^OTES 155
ses lectures n'ont jamais eu la connaissance pour objet. 11
n'a jamais ouvert un bouquin par curiosité, par besoin de
savoir. C'est un scholar qui hante les bibliothèques, y
cherche des citations oratoires, des textes propres à coller
Jules Guesde ou Karl Marx. S'il avait été capable de lire
autrement, s'il n'était pas le produit synthétique et re-
présentatif du néant fomenté par les grandes Ecoles — ua
navet pour tout dire, et de la moins savoureuse espèce —
il neinéconnaitraitpas les origines françaises du socialisme
qui, par Vauban, Quesaay, l'abbé de Saint-Pierre, Mably,
Rousseau et tous les philosophes du xyiii": siècle, sans
omettre Voltaire ni Montesquieu, ni Louis XVI lui-même,
qui parlait aussi bien que .Marat de sa « vive sensibilité »,
nous arriva dans les gloses de Saint-Simon, d'Auguste
Comte, de Fourrier, — de tous les rationalistes contem-
porains.
Ajoutez à cette culture l'âme la plus servile, une défé-
rence nègre pour l'ordre établi, et, brochant là-dessus,
l'infatualion du quidam, généralisée comme un eczéma
le long de sa personne.
M. Paul Deschanel est un sot. Mais la politique, dont il
est certes le plus mince infusoire, ne manque ni d'assises
ViO A TRAVERS LES GRODINS
ni de gravité. C'est ane île de corail, encombraDte et dan-
gereuse, un récif mortel aggloméré par des poux. Kelircr
le pouvoir du peuple aux assemblée^', des assemblées aux
cabinets, c'est toute leur méthode, leur machiavélisme.
La parole, en ce cas, n'est plus qu'un narcoliquc, un
stupéfiant que reveut d'administrer à la France, par l'en-
tremise de tels Jeunes faiseurs, les vieux partis ralliés sous
le drapeau des intérêts matériels. La turpitude contempo-
raine a, dans M. Paul Des'hanel, sa plus récente et ca-
ractéristique épiphanie.
Que représente en efTet ce Benjamin du Deux-Décem-
bre, ce (ils de proscrit acclamé par tous les rétrojirades,
sinon les capitalistes du blé, la tyrannie agraire ? Il sera
le Lycurgue d'une loi inique, la surtaxe de sept frams.
Voilà bien, d'ailleurs, la seule chance qu'il ait d'entrer
jamais au Temple de .Mémoire. Le mépris et la haine con-
servent leurs élus, tandis que le secret diplomatique, les
intrigues de couloir, les ignominies judiciaires, et sa ma-
nie oratoire et s >n éloquence pour distributions de prix
ne pourraient exonérer .M. l'aul Deschanel de la platitude
congénitale. Mais, comme il le dirait lui-même en style
prudbommesque, le parlementarisme est une arène où se
N0TE9 157
viennent four à tour exercer les gredins et les pieds-plats.
Heureux qui se distingue par quelque maladresse inouïe!
Heureux qui détériore la justice et met un deuil nouveau
parmi ieshommes.il connaîtra le renom de Montgommery,
qui, sans fiel ni traîtrise, bouhourdason adversaire, trans-
perça d"une écharde le front aimé de son protecteur et
de son roi. A moins que désenchanté par la soixantaine et
les rides approfondies, M. Paul Deschanel, après di.t ou
douze ans, ne reprenne un métier congruant à ses apti-
tudes : coiffeur pour dames, par exemple, ou régisseur
d'un théâtre enfantin.
Page 55 : Ballade pour magnifier le cerveau chef.
Le premier vers du poème ci-dessus donna lieu à un
envoi de témoins à l'auteur par M. Ernest Lajeunesse
Et motiva la rencontre enregistrée dans les procès-verbaux
suivants :
« La main droite de AL Laurent Tailhade n'étant pas
1.">S A TniVKRS LES GROCINS
encore complèlemenl guérie, les lémoiiis de celui-ci ont
déclare à MM. Joseph-Renaud et Jean de Milty que leur
client désirait se battre de la main pauclic.
« Après en avoir référé à leur client, MM. Josepb-
Renaud et Jean de Mitty ont accepté.
• Ils ont d'ailleurs informé MM. Ph. Dubois et Le Pic
que, par courtoisie, .M. La Jeunesse tirerait aussi de l.t
main gauche.
«1 Le combat sera dirigé par M. Joseph-Renaud.
Pour M. Laurent Tailliade : Pour M. E. Im Jeunesse :
Pu. Dubois. Joskpb-Rexacd.
Le Pic. Jean de Mitty.
De Paris, le 18 de janvier.
« Le combat eut lieu conformément aux conditions ci-
dessus,
t Quatre balles ont été échangées sans résultat.
• Les docteurs Edmond Vidai et Jacomet assistaient
les adversaires.
Pour M. E. La Jeunesse : Pour M. Laurent Tailliade:
Josf.pii-RENAcn. I'm. Dubois.
Jean de Mittv. Le Pic.
NOTES 159
« A la liQ du combat, d'un mouvement spontané,
M. Laurent ïailhade et M. Ernest La Jeunesse se sont
offert la main. »
Le Journal, 2/i janvier 1899.
Pa^îe 64 : Pour toi, Gucrin frappe, Thiéhaud nasille-
Un petit homme, épais moins que bouffi, avec, dans
toute son allure, quelque chose de ces grotesques en
baudruche par quoi les aéronautes éprouvent l'almos-
phère. Les yeux étroits, d'un noir sans flammes et sans
larmes, ont l'air découpés dans les matières les plus
inertes. Une lace poupine d'adolescent monté en graine,
la voix d'un difeur de riens et les façons d'un conims,
tel d'abord apparaît Georges Thiébaud. De la lêle aux
pieds, la vulgarité l'estampille. Ce serait le « Monsieur
Quelconque » d'Herman Paul, si le néant qu'il représmte
ne l'avait fait à son image et, par l'accumulation des
négatives, doué d'une espèce de physionomie.
ICO A TRAVERS LES GR0UIN3
Ce n'est pas. comme l'ex-député de iNaiicy, un avor-
ton malsain, un fœtus arraché avant terme, il n'a pas
le dos voûté, l'eunucliisme, l'indi^'euce pileuse de Bar-
rés. Il n'en a pas non plus la méchanceté froide, l'élé-
gance rastaquouère, le manège, l'impudent égoïsnie, —
l'ambition forcenée inhérente aux castrats. Si sa vie publi-
que est celle d'un marchand de contre-marques.
Il semble à qui l'approche capable de scnlimcnls hu-
mains, d'une bonté sans élévation, de modisic ou de bu-
reaucrate. Ses gestes d'un collégien que faii^'ue la crois-
sance ne manquent de rondeur ni de cordialit". Chose
inconnue à {'Ennemi des lois, Thiébaud a de la barbe
avec de belles dents.
Ce n'est pas un monstre, c'est un inachevé. Le nez pe-
tit, mollasse trop loin de la bouche, surprend par sa can-
deur, par son indécision. Le fashionable d'Edgard Poë
eût ajouté, pour ce nez-là, un chapitre à sa JVaséaulogie.
C'est le nez badaud, élastique, insurrectionuel du gavruuhc
parisien, le nez du mitron suiveur d'émeutes. Les carti-
lages en sont restés mous. Nulle yolonté ne l'ossific. Il
est le trait essentiel, la marque physiognomonique d'un
subalterne que nul cataclysme ne saurait affiauchir.
NOTES 161
Tliiébaud, négligé dans se. mise, est vraiment l'homme à
tout faire qui prend ses nippes chez la Belle Jartlinière
et ses idées chez le fruitier du coin.
Les hasards l'ont fait politicien. Il pourrait, avec la
même gloire, exercer n'importe quelle fonction d'ordre
misérable. Clerc d'avoué, pédicure, intijiidant de prince
nègre ou, comme disait Hervé, « surveillant du gaz dans
une riche famille péruvienne » — colleur d'affiches ou
candidat, on ne l'imagine point hors de l'office, des po-
tins et de la domesticité.
Ce fut proprement l'innéité ancillaire qui détermina son
orientation vers le boulangisme. Il se vante à présent d'a-
voir créé le • Prétorien de cirque '. Mais cette gasconnade
funèbre n'en saurait imposer à quiconque. Il a suivi en
larbin, non précédé en éclaireur, la grande mascarade.
Napoléon III fut le César des riches propriétaires, de
l'armée et du clergé; Gambetia le dictateur des ronds -
de-cuir, des marchands de vins et des officiers d'acadé-
mie. Boulanger, à son tour, connut l'omnipotence. Il ré-
gna sur les camelots de l'une et l'autre rive. Georges
Thiébaud, qu'entraînait son penchant naturel, suivit éper-
dument ce roi des Halles. Chassé par le comité boulan-
11
1G2 A TBAVERS LES GBOLINS
gislp, il échappa au krack dernier, h la tragédie, au ci-
metière d'Iielles, à toute cette fin de roman, si louchante
qu'elle efface presque les hontes du général < Sapoire ».
El voici où l'instinct de Thiébaud le sert miraculeu-
sement : un flair de mercanti le poussant aux besognes
sordides, il revendique pour autrui l'ergaslule, son habita-
cle naturel. Ses articles chez Arthur Meyer — Meyer qui
connut aussi l'étal de chambrière et rinça les porcelaines
nocturnes de Blanche d'Antigny — ses articles du Gauloia
montrent bien les deux tendances du pâtissier révolulimi-
naire et du larbin soumis qui se partagent l'intellect em-
bryonnaire de Thiébaud.
Comme tous les minus habentes, le candidat patriotaril
de Vaucluse regorge de vénération pour l'uniforme, de
sentiments grandiloques et de chrétienté. A nous qui tra-
vaillons, cherchant, d'une àme inTatigable à penser
juste, à vouloir haut, il reproche le scepticisme, le man-
que de croyance et tout ce qu'il vous plaira. Ur Thiébaud
qui est un genre, Thiébaud pareil, en cela, comme en
loole ch3se, à la caste invertébrée qa'il représente, Thié-
baud ne croit et ne peut croire à rien. Il Tcnèrc les ga-
lonnés, sous le dulmaii du sabreur ou la chappe de l'évé-
NOTES 16S
que. Il salae et s'aplatit. Il défère aux superstitions mais
ne saurait couuaitre ce que Michelet nomnia la < foi
profonde ».
Quand il incrimine le scepticisme libertaire il semble
qu'on entende un visage de cire, maquillé, fardé et rac-
crocheur, alléguer que le sang rouge et libre colore in-
suffisamment la peau — que la vie est bien inférieure à
l'art des perruquiers.
Page 71 : Quaiorzain d'hiver.
M. Jean Rameau, poule, nous fil tenir à l'Aurore le
message que voici :
Monsieur le direct eur,
Ce m'est toujours une grande joie de constater que mon
brave ami, Laurent Tailhade, ne m'oublie pas. Jadis, il
m'écrivait des lettres inquiétantes, où il me donnait du
lt)l A TRAVF.ns I,ES GROIIINS
« clicr confrère en Apollo » et me dédiait ainsi des livres:
« Au poète Jean Rameau, hommage de sympathie cl
d'estime artistique. »
J'aimo autant, à vrai dire, qu'il m'accuse de ne pat:
être « joli, joli » cl même de « monter en oranihus ».
M. Tailhade, si j'ai bonne mémoire, n'avait pas alors
!,M-and'ch03c de commun avec l'Antinous ; mais depuis,
heureuse victime d'un beau geste, son visage s'est arrangé
^an3 doute, et c'est ce qui lui donne le droit de nous écra-
ser de sa plastique. Proclamons donc sa beauté de bonne
grâce.
Une autre de ses amabilités consiste à me reprocher
les écus que me vaudrait la lécilatlon de mes épodes.
Cette légende me flatte trop pour que je la détruise moi-
même.
Remerciez, je vous prie, M. Tailhade de l'avoir accré-
ditée et dites-lui (|ue je reste
Son très reconnaissant
Jean Rameau.
En présence d'une protestation si courtoise et spiri-
tuelle, nous oiïrinies des excuses au poète, spuutauémcut.
ir.5
Il a parlé, le gens irritable, Rameau,
Plus notoire que Géraudel ou que Momo.
Pour m'habiller d'opprobre et me faire la nique
Il a de son esprit mù la pyrotechnique,
El cela fait penser à Clianipcenetz. Or, donc
J'en tiens au flanc : car il me conteste le don,
Cher à Loti, cher à Cypris, cher à Liane,
D'être beau comme Ernest la Jeunesse ou la cane
De Montesquieu. Pourquoi mes parents m'onl-ils fait
Bancroche, nasitord, punais et contrefait
(Gela est bon pour yous induire en parricide)
Jusqu'au point que Claudicator — combien acide.
M'incrimine pour un défaut de vénusté.
En vers simples, en vers confits d'humilité.
J'éloignerai de moi cet exemple funeste.
Adonc, je me rétracte et, fuyant comme peste
Les ccncetti, les agudas, le calembour,
Je déclare que, de Nante à Christraas-Harbour,
Rameau tient le record des beautés familières.
160 A TRAVERS LES GROUINS
S'il boilc, c'est à la façon de La Vallièrc :
El le dernier morceau, gloire d'un tel cerveau,
Son billet est si beau que l'on dirait du veau.
Page 75 : Canriidals à l'immortalité.
« Les poètes, disait Rivarol, sont pourla plupart comme
les rossifîiiols : ils ont reru leur cerveau en gosier. •
Ceux d'aujourd'hui, les poètes qui débitent le macaroni
des rimes riches ou le fromage mou du vers libre ; les
sexagénaires du Parnasse et les petits vieux du dccadisme,
n'ayant plus ni cerveau ni gosier, semblent avoir subs-
titué à ces organes un moignon qui les remplace : de
même le, proboscide éléphantin joue, en même temps, la
bouche et les dix doigts. C'est le goût de la réclame ;
c'est la trompe de la renommée, une trompe qui jamais
n'éprnnva de saipyngitfi et oii bavent sans relâche les
plus éliiinlés nigauiis.
fioTEs 137
Un mercaiili de littérature industrielle, néjîociant en
contremarques, et gargotier en chef d'une revue sans
nom, M. Léon Deschamps (si j'ose m'esprimer ainsi)
Deschamps le vrai, le seul, le Géraudel ; celui qui, sous
couleur de banquets esthétiques, vendait, naguère, pour
dix francs, aux gens de lettres, un dîner de trente sols,
partageant la plus-value avec un cafetier du boulevard
Michel ; Deschamps qui vécut — telle une ptomaïne — du
cercueil de Baudelaire, s'ingénia, voici quelques années,
d'une invention merveilleuse.
Paul Verlaine traînait encore, dans les estaminets de
la rive gauche, sa gloire, ses douleurs et sa déréliction.
Touché par le démon de l'ivrognerie, le pauvre Chouletle
agonisait. Déjà, les a( arus du poème et les sarcoptes de la
chronique choisissaient leur morceau du cadavre futur,
préludant à cette curée de vermines où le comte Robert
de Montesquieu embrassa Bibi-la-Puréc.
Deschamps alors imagina de faire consacrer la gloire de
Paul Verlaine par les chansonniers qui batifolaient nui-
tamment au Soleil d'Or.
Joseph (^.anquetau sacra « Lélian» prince des Poètes
sur l'air du Père la Victoire. Buffalo voua au maître quel-
les A TRAVERS LTS GROCINS
(lues hymnes dclicieD:^ ordieslrés à la manière de Polin.
Ovations plutôt modestes. Les lampes Popp du caboalot
seules éclairèrent ce triomphe ; les pipes grésillantes ser-
virent d"oiicensoir au nouveau Pétrarque. Gazais même fui
l'unique Ciniabuë qui, pour les âges à venir, consigna
l'apothéose.
Verlaine mort, l'invention fit tache d'huile. Ocschamps
avec sa Plume interrogea les volailles dont elle était sor-
tie. Moréas, le marchand de kakaouets, perruche de Ron-
sard et sansonnet de Malherbe, otTrit sa pacotille aux
peuples ébaubis, héritier, avec son ami Maurras, de la
gloire Vendônioise, l'un en ayant pri« les vocables, Tautrc
la surdité.
Ces Cornibus de la chose rimée imposèrent à l'auteur
à'Ilérodiade un pavois métaphorique dont ils pensaient
bien, quelque jour, faire leur chaise percée. Maurras en-
tend par le nez ; Moréas ne rime que sur cahiers de bon-
nes expressions; mais ils ont pour eux Barrés, Barrés de
la tribu des édentés. Barrés qui, n'ayant ni la barbe
ni les dons qu'elle implique, aime servir de duègne aux
plus notoires fausses-couches.
Si hâtif, le deuil de .Mallarmé revêt de crêpe nos mé-
NOTES ie9
moires et nos cœurs : les histrioDS de cimetière repren-
nent déjà sur son tombeau leurs pantalonnades sacrilèges.
On interviewe quiconque tient une plume, un crayon,
pour connaître son avis touchant les mérites comparés des
gentilshommes à hémistiches. Les jeunes poètes de qua-
rante ans éprouvent de rechef les sensations du premier
rendez-vous. Leurs cœurs palpitent comme une tourte-
relle malade à l'imagination de se voir élus.
Pensée inégalable de Deschamps 1 Nous avions déjà la
première encre, le plus éminent charcutier, les meilleurs
journalistes et la plus sévère proxénète de Paris. Vexilla
régis prodeunt ! voici venir aussi le Prince des poètes,
garanti sur facture par une demi-douzaine de banquistes,
par un escadron inégalable d'idiots !
Page 76 : El ceux dont les neuraslhéniqnes mucilages
Pour monsieur de Vogue sont emplis d'agrément.
C'est vraiment un joli garçon — patron de modes néo-
chrétiennes, de bafouillage salonnier, que Molchior de
ITO A TRAVERS LÉS GROUINâ
Vogué, académicien départemental, journaliste à la gui-
mauve et commis voyageur pour Tolstoï, dans les milieux
distingués. Hobereau, parti de son Ardèche à la conquête
des intelligences, il a couru le vaste monde. Les paysa-
ges, les mœurs, les cités et les plaines, les golfes et les
cimes ont défilé à ses yeux. H a promené, du couchant
au ponant, sa cervelle d'oiseau, ses doctrines de collège,
ses élégances de coiffeur, sans que tant de milieux divers,
(le spectacles inouïs aient conféré à son écriture le moin-
dre vestige de couleur ou de passion.
l'ne ti'te embryonnaire, un fœtusdedandie échoué dans
le figarisme, la iillérature slave et autres balivernes; un
de ces confesseurs laïques préposés à la direction des
vieilles dames qui, « pour se consoler de leurs llueurs
blanches, font de la musique religieuse •, tel apparaît
le sieur Vogiié. 11 se targue d'avoir initié la Fram-e aux
beautés de l'alliance russe : nul, en effet, n'a plus tar-
tiné, plus bètiGé que lui sur Gogol et sur Pouskine, <nr
Piscmskift Goncharoff. C'est la mouche du traîneau, le
lianneloii de la Neva, le dwornik de Dostoiewsky.
L'.\cadémie a consacré tant d'élégance. Pour jouer
Renan dans les châteanx de province, .Melohior affecte
NOTES l7t
des airs penchés, une grâce élégiaque de blonde romanti-
que. Dans lo inonde spécial, où son conlrère Loti recrute
des frèryves, on ne manquerait pas de lui infliger des sur-
noms tels que La Fleur fauchée ou la Môme cold-cream.
Un personnage de cette onction ne peut manquer d'offrir
quelques dragées aux caporaux qui nous gouvernent.
Hier, il sucrait, dans le Figaro, une tartine vermineuse à
la louange des armées. Incroyable effet du pantalon rouge
sur les vieilles lymphatiques ; Vcgiié peuple deux colonnes
et demie avec tant d'aisance qu'il continuerait jusqu'au
leuderaain si les nécessités du tirage n'enrayaient sa fa-
conde.
Il aune parole émue, un verbe enthousiaste, un « con-
tinuez » pour chaque nègre de l'État-Major. Les officiers,
dit-il, sont « astreints à des travaux savants ». Il entend
par là, sans doute, les patenôtres de Boisdeffre, les revues
d'astiquage, les tables tournantes du Paty de Clam, les
mensonges de Pellieux et l'espionnage teuton d'Estherazy.
" La règle de ces moines • qu'il admire, avec • le
public de Coppée », autre bonnet à poil flanqué de pal-
mes vertes, l'attendrit jusqu'aux rognons. De fait, celte
règle qui comprend la vie de café, l'alcoolisme, le bac-
172 A TRAVF.R3 LES GROflNS
carat, le lieu d'hoimeur pour Jes roturiers, la sottise et
les intrigues mondaines pour les vicomtes de Saint-Cyr,
imprime un caractère indélébile à quiconque l'exerça
pendant un lustre ou deux. C'est à 'vrai dire une ascwe
merveilleuse d'ignorance et de brutalité.
Vogiié en proclame les résultats :
Il Par cela seul (l'Armée) nous avons chance de vivre,
de continuer nous et nus enfants, se dit le peuple. >
Le peuple a bien raison, instruit, comme il fut et par
les conseils de guerre où l'on canarde ses enfants, lorsque,
entre deux vins, ils protestent contre la tyrannie du der-
nier sous-o(T, et par Fourniies, et par les insur!.'és de
Milan que canardaient, hier encore, les miliciens d'Hum-
herlo.cepomhinlque le souverain festoyait avec placidité
devant son peuple expirant de famine.
Ces jolies choses plaisent aux belles mondaines, aux
casernes et aux séminaires. M. de Vogué ne l'ignore pas.
Etre un sot n'empêche pas qu'on soit un aigrefin. De là
ce dithyrambe académique, cette courbette servi le du
langoureux Alelchior, qui connaît h quel point sont utiles,
honori(l(|ues et rémunéraloires la reptation devant le
sahii', r:iplatis>.('Mii'nl devant les galonnés.
NOTES 1 7.1
Aux premiers jours de mai, Rome cciébrail jadis —
avant l'infeclion chrétienne — une Vigile de Vénits.
Ainsi, Melchior de Vogiié solennise à sa manière, par sur-
croit de bassesse, la Vigile du procès Zola.
Page 113 : <. Vive l'armée! » exclama Dcvoiilèûe.
Si l'ingénuité se mesure à l'aune, M. Paul Déroulède
représentant des trois couleurs et de la ville d'Angou-
lême — est digne qu'on l'immatricule parmi les plus
grands bêtas du dix-neuvième siècle. Long comme un
jour sans pain, maigre comme un aztèque, avec ses
yeux ronds, ses yeux de pruneau cuit, sa bouche déhis-
cente, l'auteur de l'Hetmann porte sur son visage l'expres-
sion hébétée d'une candeur que cinquante ans n'ont pu
réduire. Il bée naturellement, comme la grenouille au
jeu de tonneau. Il gobe les mouches de toute sa lèvre infé-
rieure que surplombe un nez extravagant. Ce nez lamen-
table, pharamineux et truculent contraste avec le chef
174 A TRAVERS LES GROOINS
exigu, la tcle d'oiseau sans cervelle — dindon ou canari.
Des ailes noires pendent au corps, achèvent la ressem-
blance. L'on ne saurait imaginer Déroulède sans sa rc-
dingue plus que Charles XII sans ses boites.
Ce n'est pas un méchant homme. S'il éructe des méta-
phores sanguinaires, des Iropes aussi guerriers que mal
bàlis, la faute en est aux dieux qui le firent si bi'te. Il
brait, ''orarae un roussin,des àneries anthropophages parce
que nulle autre virtuosité n'est dans son registre.Le patrio-
tisme est un refuge suprême on les ratés, les grimauds,
sans cœur, esprit ni orthographe peuvent suspendre,
comme une guirlande, leur imbécillité.
Déronlcde ne crie pas : < Vive l'armée ! > comme Bar-
rés pour fréquenter chez des personnes titrées, ni, comme
Jude(,pour suborner les cuisinières, ni, comme Dnimont,
pour crocheter les serrures. L'éléphant harit, le baudet
renâcle ; ainsi DéroulèJe vocifère, tendant le poin'.' du
coté des Vosges.
C'est un € mirliton d'alarme», ainsi qu'on l'avait sur-
nommé, an orgue de Barbarie qui moud naturellement
tous les poncifs, toutes les sottises du chauvinisme le
plus abject.
NOTES 173
Bourgeois cossu, paisible et de mœurs ilouiliettes, il
aime les soldais. Il rythme la mesure à l'escadron en
marche. C'est une bonne d'enfant — une sorte de Germi-
nie Lacerteux, bafouilleuse et militaire. Il s'attendrit sur
l'uniforme, t Tambours, clairons, musique en tète », il
suit le régiment et dégaine avec héroïsme un sabre de
bois. Coppée, lui, adore les officiers, les panaches, les
bourreaux galonnés qu'il sait capables d'égorger, un
beau matin, quiconque pense avec hauteur.
Les sympathies de Déroulède vont de préférence aux
troubades, aux pousse-cailloux, aux culs terreux de la
Grande Muette, qu'il endimanché de solécismes éperdus :
car on ne saurait trop le répéter, c'est le plus bénin des
hommes.
Ses vers à qui Thérésa prêtait une âme tragique au
point de faire illusion sur leur néant, ses vers dépassent
l'imaginable. Les Intimités, en comparaison, semblent
une œuvre d'art.
Et gloire d ceux que rien n'épouvante,
Qui, tombés vainqueurs, sont morts, réjouis.
Leur perte qu'on pleure est un deuil qu'on chante,
0 grands cœurs, ils sont l'dme d'un pays.
176 A TRAVF.nS LES GRODINS
Eu vcrilé, le capitaine Lucien Irabard lui-même ne
saurait Taire mieux !
El certes, il est juste que M. Déroulède ligure à la
Chambre, seul lieu adéquat à sa mentalité. Avec le talent
qu'il possède et l'esprit qu'on lui voit, il peut bien
légiférer, mais non rimer des poèmes pour le chocolat
Menier ou les savons du Congo.
Pa:-'e m : Humbert évumant, furieux, épUeptiqiu.
Ce nest point certes une savate ordinaire que M. Al-
phiiMse Humberl, ex-président du Conseil municipal, député
majoritard et larbin chez Sabathierla Buse, ainsi qu'A-
jalberl surnomma le grand Chef de VEclair. Ancien mem-
bre de la Commune, condamné à mort par les cannibales
de Versailles, puis expédié vers Nouméa, le boulet aux
pieds, il est de ces martyrs que Proudhon jugeait presque
aussi odieux que les tyrans.
NOTES 177
Les jours passés à La Nouvelle lirciil cclorc son gouie,
le rendirent au monde civilisé prêt à n'importe quelle
besoijne pour conquérir l'assietle au beurre. Tel Mahomet
après l'Hégire. Les caractéristiques de M. llumbert
manquent de complexité; nul n'est plus simple que lui,
plus naïf daus ses manifestations. L'ini^cnuité de ce sexa-
génaire tient le milieu entre la pbanérogamie des grands
singes et le retroussis violent des diarrhéliques. Etats
d'âme peu variés, il est atteint par la folie des grandeurs,
il a toujours besoin de cinquante cenlimcs.
Ces deux formes de cérébralité parvinrent à leur maxi-
muni de gloire pendant la visite de l'amiral Avellan, pre-
mier numéro du cabotinage franco-russe. Eu qualité de
prévôt des bourgeois, Humbert promeua le Moscove dans
les carrosses officiels, à travers « la capitale» et le « tapa »
dequelques francs sous la custode. Humbert excelle dans le
geste d'emprunter un petit écu. Malgré l'appellation glo-
rieuse de père Pol-de-vin dont le blasonnèrent ses ronds-
de-cuir, la nécessité chronique de palper quehiue billon
lui est un empêchement rédhibitoire à fomenter les plus
juteuses affaires.
Il n'est bas employé à l'hôtel de ville, concierge, ba-
•12
178 A TIIAVERS LES OliOlUNS
layeur, ilonl il ne souliie la inoiiiiaio, sous couleur ilf
lireiidrc un liacre ou d'acquérir un melon. Encore qu'il
soit plutôt il'une malpropreté nauséabonde; encore qu'il
ue porle point le maquillage de ma tanle Loti, un nu-me
goût théâtral induit le vieux communard el l'académicien
d'urinoir à Ihuiibuler devant les puissances militaires.
Son voyage à Toulon, pour flagornor l'escadre russe, pour
intenter le lècheraenl de pieds qui lit baver les âmes tri-
colores, comptera dans les fastes de la pitrerie nationale
et de la servilité française. Humbert qui, pareil à Bilbo-
quet, connail toutes les banques, hormis la Banque de
Franco, ne manqua pas, sitôt débarque dans Toulon,
ynic que l'infamie et la gloire enncmenccnt
Où, du forçat pensif, le fer tond les ehevetix,
d'aller rendre visite au serrurier qui, avant son départ
pour le bagne, l'avait ferré, de ces bienheureuses chaî-
nes qu'au retour il exhiba, pendant plus de dix ans, à
travers les réunions publiques. Ce fut beau comme le De
Mris, la Morale en actions elles Vi'w do Plutarque.
La chose p lurrail fournir un sujet au concours de pein-
ture pour les candidats chez qui respirent encore les sai-
N0TE3 179
nés traditions. Cela ferait suite au combat des Horaces, à
Brulus immolant ses (ils, à Ximènes recevant la pourpre
dans l'ergastule d'un couvent.
Entre à la Chambre, Humbert s'est abondamment pla-
cé du côté du manche. Ses votes furent toujours empreints
de la domesticité la plus irréductible. \ présent, il injurie,
sept fois par semaine, les honnêtes personnes que dégoûtent
encore le prêtre ou le soldat. Il aboie au.\ Juifs d'après
la recette druroontale et tire sur les indépendants ses
vieilles flèches canaques rapportées de Nouméa.
Page 114 : Marie Aime de Keroubim.
Keroubim :- Bovel alias petit bœuf, comme chacun
sait.
Page 121 : Les pasteurs de la contrée venus en foule.
Le soleil froid, dans un ciel bleu de lin, aux horizons
de perle, flambe sans chaleur comme une inerte pierrerie.
1S'1 A TRAVERS LKS GROCIXS
Une buée couleur d'ardoise, où meurent, rà et là, des ro-
ses défaillantes, conrond les avenues sous ses troubles
réseaux. Le sol, d'un jaune impénétrable — silex et terre
cuite — résonne sous les pas, ainsi qu'une dalle funèbre.
Tout en haut, les étoiles rèches de décembre fulpurent
peu à peu, tandis que, vers l'Orient, s'affirme une lune
blême, ai^uë et pâle comme un couteau d'acier.
La rue a mis sa bêtise des jours carillonnés, les passanXs,
leur bideur du dimanche. C'est un vomissement des arrière-
boutiques, une mise au jour de tous les batraciens que
cachent, en semaine, les bureaux. Les tovous nationalis-
tes et antisémites font trêve aux clameurs assassines
pour offiir aux chalands des jouets scatologiques ou du
poil à gnitter. Urbanité française ! Les échoppes des ca-
melots encombrent la chaussée de mille inventions abjec-
tes,depuis les caries porno^'raphiques jusqu'aux Bons Dieux
en chromo. Et ce sont des toupies bombinantes, des fla-
geolets aux sons aigus, des musiques térébrant le cerveau.
Les cathédrales font au boulevard une déloyale concur-
rence. Messieurs les archiprêfres organisent, dans leurs
. édifices réciproques, de funestes beuglants, annoncent
M"' de Trédcrn pour les pince-chose et la messe de mi-
NOTES 181
nuit. Car le monde civilisé se conjouit présentement.
Voici le jour natal, voici l'heure solennelle du n Rédemp-
teur » à qui nous devons la Saint-Barthélémy, l'Inquisi-
tion, les Dragonnades et le R. P. Dulac. Chacun célèbre
à sa manière le « gluant » de Bethléem : les ânes patriotes
et les bœufs cléricaux et le Joseph de la villa Dupont.
L'adoration des mages s'effectue comme par le passé.
Le roi nègre Cassagnac offre l'encens — thus et myrrham
— de sa copie; MelchiorDrumont, l'or chapardé aux juifs
de la rue Bab-.\zoun, tandis qu'Arthur Meyer, descendu
de chameau, fait agréer l'oliban de ses hautes manières.
Les personnes enclines à la mysticité s'indigèrent de sa-
crements à l'heure où d'autres bedeaux tortorenl de la
charcuterie à s'en faire crever. Le boudin, cette nuit, de-
vient eucharistique ; le pain des anges assume un petit
.goût d'oignon; les pochards, attendris par un mélange
de vinasse et de chrétienté, barytonnent des Noëls eu
contre-point de leurs indigestions :
De notre foi que la lumière ardente
Nuits wène tous au hereeau de l'enfant.
IS2 A TRAVERS LES GROLIXS
Il n'est pa-; jusques aii\ vieilles dames dont quelque
espoir ne passeraenle les soûl iers avachis. Ma tante Viaud se
délecte pour un songe qui redresse en fuseaux ses rotules
cagneuses. Jean Lorrain imagine qu'il centralise enfin,
dans sa belle patrie, l'amour unisexuel et que, sous une
chape d'améthyste et d'or, il devient pape des Urniens.
Mais les triomphateurs de cette nuit charmante sont
Messieurs les épiciers, prestidigitateurs de la mélasse, il-
lusionnistes du saindoux. Les abricots au navet, les pra-
lines d'arachide et les marrons placés au sucre diabétique
battent leur plein au sein du réveillon. Noël à tous et
Merry Christmas 1 Le gui pend aux solives des bistros :
mais la poix qu'on en sort agglutine les puddings. Ma
concierge offre aux enfants de remballeur un escarpin en
sucre avec Jésus dedans.
Sur les ottomanes des gargotes, la Vénus vulgivague
préparc au pharmacien des matinées heoreuses. Car c'est
un fait de notoriété : le réveillon conduit ses officiants
chez l'apothicaire, demain, pour l'Honjadi-Janos et, dans
huit jours, pour le prolo-iodurc. Les journaux à images
fonrmiljenl il'liistoircs dévotes, accommodées en « Christ
NOTES 183
mascards ». C'est une crise aiguë de romances — genre
éminemment national — et de laideur et d'imbécillité.
Qu'il fera bon, ce soir, dans la chambre fermée, au
coin du feu qui s'alanguil. Quelle joie de tirer les Tcrrous
et d'éteindre la lampe avant l'heure où marguillers et
poivrots, sur l'arène convomie, renouvelleront aux yeux
frcids de constellations, le tourment de Saint-Godepin
qui fut, ainsi que chacun sait, « martyrisé de pommes
cuites 'I.
21 décembre 1897.
TABLE
TABLE
DcJicace 7
Prc.jautions oiatoiies 9
La prière pour tous 17
Villanelle : C'est l'arbitre du bon ton lO
Maintenear de jeux floraux -3
Chauvinisme sardinier 25
Prédicateurs de carême. . . 27
Vieille dame 29
Nationalistes 31
Da'lade pour congratuler 33
La Malédiction de Pallas 36
Rochefort aux glaviots 38
188 A TRAVERS LES GROl'INS
Sonnet : ilarquiae de Rochefovt, y Gérante, ô Ga-
vroche 40
Villanellc : Vervoort est un poisson bleu .... 42
Villanelle : André Vervoort nous assigne. ... 41
Dallade pour célébrer le fiasco de M. Gaston Méry 46
Villanelle : Drumont fut assassiné 40
Dallade patriotique surla louangedu colonel Henry 52
Dallade pour magnifier le cerveau-chef .... 53
Les électeurs de la Meurthe et de la Moselle. . . 58
Ballade pour exalter les doyennes du persil. . . CO
Chant royal de la mansuétude ecclésiastique . . 6.3
Odelette C"
Qualorzain d'hiver 71
Mélancolie odéonesquc 73
Candidats à rijiiraorlalité 75
Prix de vertu 78
Kondel 8J
Conscrits 8-2
Foire aux jambons 8i
Vendredi-Saint 87
Le « petit épicier » fait ses P.îqucs 89
Idylle suburbaine '•'1
TABLE
1S9
Chemin J'églogue '-l?
Troisième sexe 9'.'
Fèlc nalinnalc Il'l
Ballade 14 juillet Iii3
Uu souper chez Siinou Icpliaiisicn (conte de Noël). I!l9
Les Mages au Berceau 110
Eûlie soutanes 129
Noies et additions 139
universités
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33?
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iothèque
d'Ottawa
ionce
The Library
Univers! ty of Ottawa
Date due
CE
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et PQ 2639
• A5A7 1899
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